A chaque coucher de soleil, Agathe Ngo Nkot aime se detendre au lieu dit carrefour Bana, un coin ambiancé du quartier Oyack dans le 3e arrondissement de la capitale économique du Cameroun. Assise près d’un baffle qui vomit de la musique urbaine, elle hausse la voix pour se faire entendre par deux femmes qui se font belles devant le géant miroir d’un salon de coiffure.
Agathe, 41 ans, réside depuis deux ans à une centaine de mètres du carrefour Bana. Si elle se sent chaque fois heureuse de retourner à cet endroit bruyant, ce n’est pas seulement pour se faire plaisir avec ses proches. Elle profite des échanges, dit-elle, pour oublier un instant les soucis de santé de Princesse et Jules Merlin, ses deux enfants en bas âge venus au monde quand elle vivait près des usines de recyclage de batteries au plomb usagées.
Agathe a remarqué à sa naissance que Jules Merlin se portait bien, dit-elle. Plus tard, elle découvre que son petit garçon aujourd’hui âgé de trois ans ne s’exprime toujours pas. Alors que son entourage cherche encore à comprendre la cause de cette anomalie de croissance, Agathe a donné vie il y a six mois à sa dernière fille, Princesse, qui a contracté une infection pulmonaire. Avec ce second coup dur, Agathe a pris peur et a quitté le carrefour Bana. Elle suspecte les fumées des usines d’être à l’origine des malheurs de ses enfants.
« Je me dis que cela est arrivé à cause des odeurs de fumées qui provenaient de la zone industrielle et qui entraient dans la maison », dit Agathe en berçant Princesse dans ses bras. « Les odeurs venaient des gens qui fabriquent les batteries ».
Agathe a raison de se faire du souci. A son insu, des scientifiques ont récemment prélevé des échantillons de sols à l’intérieur et aux environs des usines de Kyzen Global sarl, Metafrique Cameroun et Ganesha Cameroon, trois entreprises spécialisées dans le recyclage des batteries au plomb usagées dans la capitale économique. Après analyses, les experts ont révélé que les endroits où vivent les communautés riveraines des usines contiennent des niveaux de « contamination importante » au plomb qui ont des effets négatifs sur la santé humaine.
« La fabrication et le recyclage des batteries au plomb sont des industries extrêmement dangereuses », a déclaré Perry Gottesfeld, le Directeur exécutif de Occupational Knowledge International (OK International), une ONG basée aux Etats-Unis ayant participé à l’analyse des échantillons de sols et qui utilise des stratégies innovantes pour réduire l’exposition aux polluants industriels. « Car, ces processus impliquent la fusion du plomb, ce qui libère des fumées de plomb en suspension dans l’air qui sont facilement absorbées », a ajouté Gottesfeld.
Les experts déclarent en outre que les enfants exposés aux fumées de plomb sont plus vulnérables.
Pendant des mois, The Museba Project et le journal américain The Examination ont enquêté sur l’état de santé des enfants qui naissent et grandissent près des industries de recyclage des batteries au plomb à Douala, et ont trouvé que plusieurs d’entre eux souffrent de retards de croissance, d’infections pulmonaires, d’étourdissement, de vomissements, et de troubles de l’humeur.
« L’intoxication au plomb est peu recherchée dans notre contexte », a déclaré à The Museba Project Dr Wagou Nintcheu Irène, médecin biologiste à Yaoundé. « La raison la plus importante étant que la majorité des cas est asymptomatique pendant des semaines à plusieurs mois ».
Des Odeurs toxiques
A Oyack, la zone industrielle de Bassa (Ziba) a longtemps été une fierté. La ziba est gérée depuis sa création en 1984 par la Mission d’Aménagement et de Gestion des Zones Industrielles(Magzi), un organisme de l’Etat chargé de promouvoir et de gérer les zones industrielles.
La Ziba qui s’étale sur une superficie de 150 hectares encadre près de 150 entreprises opérant dans des secteurs d’activité comme le sciage industriel, la métallurgie, le recyclage, la production. Les patrons d’entreprises ont créé il ya 5 ans l’Association des entreprises de la zone industrielle MAGZI Douala/Bassa dénommée « EZIMAD’ ».
L’une des missions de l’Association est de «diminuer les impacts environnementaux des entreprises en les aidant à se mettre en conformité » avec la règlementation environnementale. The Museba Project a demandé au secrétaire permanent de l’Association si les effets du recyclage des batteries au plomb sur les communautés riveraines préoccupe Ezimad.
«Ezimad repose sur le concept de symbiose industrielle qui comprend une approche plus globale des différents types de coopération industrielle », a déclaré Marcel Dimitri Beat dans un message électronique. Difficile à comprendre tout de même. Et lorsqu’une entreprise ne respecte pas la réglementation environnementale ? « Vous êtes sans ignorer que la plus grande arme pour impacter les gens est la sensibilisation», a conclu le secrétaire permanent de Ezimad, également expert en développement durable.
Si Ezimad ne le fait pas, des scientifiques s’intéressent aux conséquences des activités de recyclage des batteries au plomb.
Le 6 juillet 2023, des experts de OK International et du Centre de Recherche et d’Education pour le Développement (CREPD), ont prélevé des échantillons de sols sur une profondeur maximale de 3 centimètres près des barrières, à l’intérieur et à l’extérieur des usines de Ganesha Cameroon sarl, Metafrique Cameroun S.A et Kyzen Global sarl. Cette étude commandée par The Examination était nécessaire pour avoir des donnés factuelles sur l’impact de cette industrie sur l’environnement et la santé des populations, selon Dr Gilbert Kuepouo, géochimiste et directeur exécutif de CREPD, une ONG camerounaise qui promeut le développement durable par la gestion rationnelle des produits chimiques et des produits dangereux.
Il y avait » un souci de fixer le fond chimique du plomb dans le sol », a déclaré Dr Kuepouo.
Le plomb est un métal hautement toxique qui produit une série d’effets néfastes sur la santé, en particulier chez les jeunes enfants. Il est classé parmi les 10 substances chimiques les plus toxiques par l’OMS qui ne lui reconnait aucun niveau d’exposition qui ne soit sans danger sur la santé. Selon une étude récente, le plomb est responsable de plus de 5,5 millions de décès chaque année dans le monde.
Malgré sa nocivité, le plomb est présenté comme la clé de l’avenir des énergies renouvelable, des transports, des télécommunications et même de l’agriculture. Les batteries au plomb représentent plus de 90 % de la consommation mondiale de plomb et constituent l’une des seules utilisations croissantes du plomb, disent les experts. Cela explique la chasse au plomb que mène l’industries de recyclage des batteries usagées.
Temé Samba, un citoyen malien âgé de 50 ans, est propriétaire d’un point de collecte des batteries au plomb usagées situé au cœur de Bépanda, un quartier populeux de Douala. Il achète les batteries en fonction du voltage auprès de petits débrouillards, dit-il. Lorsque les stocks sont importants, Samba revend ces batteries par tonnage à des entreprises industrielles de recyclage parfois à plus de 60.000 FCFA($99) l’unité.
« Ces entreprises nous délivrent des documents pour faciliter le transport des batteries jusqu’à l’usine », explique Samba debout devant une pile de batteries de divers marques. Il dit avoir gagné « un peu » d’argent depuis 15 ans qu’il est collecteur sans dévoiler les montants. Il est ce pendant conscient des conséquences de la manipulation des batteries au plomb sur la santé et a commencé à prendre des précautions longtemps à l’avance .
« Quand je finis de travailler le soir, je me nettoie d’abord les mains avec de l’alcool avant de rentrer à la maison. Mes habits de travail, je les range dans un coin de mon magasin », dit Samba, père de 8 enfants. « Je me protège et je protège aussi ma femme et mes enfants parce que s’ils tombent malades, personne ne va m’aider à les soigner ».
Les résultats de la recherche intitulée « Etude sur la contamination des sols dans les usines de recyclage des batteries au plomb à Douala au Cameroun » ont révélé que les niveaux de contamination de sol à l’intérieur des trois usines montaient jusqu’à 7,6 % , près des clôtures 15% et plus de 2% dans les usines.
L’Agence de Protection de l’Environnement des Etats-Unis, EPA en anglais, considère 0,08% comme une valeur de référence pour l’élimination des sols contaminés dans les quartiers résidentiels et 0, 04 % pour les sites résidentiels.
Agathe Ngo Nkot avait plusieurs fois remarqué que le vent déposait des particules sur les feuilles de légumes et les meubles aux alentours. Mais, lorsque les fumées envahissaient les habitations, elle pensait faire du bien à ses enfants en les enfermant dans la maison.
« Je laissais les enfants dans la maison et je fermais la porte avant de partir parce que je ne supportais pas ces odeurs qui m’intoxiquaient », dit Agathe. « Je me protège avec un cache-nez quand je vais acheter quelque chose ».
Les soucis d’Agathe ont commencé quelques jours après la naissance de son fils Jules Merlin. « Il a un problème : il ne parle pas, il a un retard de sortir les mots. Je me disais que peut être sa langue est collée mais on a dit qu’il n’y a rien », explique Agathe. « On m’a dit que s’il y avait de l’argent je devais l’inscrire à l’école et il pourra changer ».
L’exposition à des niveaux excessifs de plomb peut provoquer des lésions cérébrales, affecter la croissance de l’enfant, endommager les reins, nuire à l’audition, provoquer des vomissements, des maux de tête et une perte d’appétit, ainsi que des problèmes d’apprentissage et de comportement, selon les experts. Les fœtus, les nourrissons et les enfants sont particulièrement vulnérables à l’exposition au plomb par rapport aux adultes, car le plomb est plus facilement absorbé par les organismes en croissance. En outre, les tissus des jeunes enfants sont plus sensibles aux effets nocifs du plomb.
Agathe n’est pas parvenue à envoyer l’enfant à l’école faute de moyens ; ses effets personnels sont entassés dans un coin de la salle de séjour d’une bienfaitrice qui l’héberge avec ses enfants. Agathe ne travaille pas, elle vit au dépends de son voisinage. « Les gens me viennent en aide. Ma voisine qui vend la nourriture me donne souvent à manger . La maman chez qui j’habite me nourrit également ».
« Il respire fortement »
Quelques semaines après sa naissance, sa fille Princesse était devenue une nouvelle source d’inquiétude à cause de son état de santé. « Pour mon bébé Princesse, au lieu de prendre du poids, elle maigrit plutôt », raconte Agathe, en ajustant la casquette posée sur ses cheveux. « A l’hôpital, on a d’abord dit que c’est la malnutrition. Plus tard, on a découvert à l’hôpital qu’elle avait l’infection pulmonaire ».
Après le traitement, Agathe dit avoir fait une radio qui a attesté que Princesse ne souffre plus d’infection pulmonaire.
Kyzen Global sarl est une entreprise membre de Ezimad qui dispose d’une usine de recyclage des batteries au plomb située au carrefour Bana à proximité d’un bloc d’habitations clairsemées où vivent environ 2000 personnes.
Depuis juillet 2016, Kyzen a obtenu des autorités gouvernementales un permis environnemental qui donne la possibilité à cette entreprise contrôlée par des indiens d’effectuer des opérations d’import-export avec ses partenaires étrangers, en majorité d’origine indienne. D’après les données de la douane camerounaise, une firme indienne a livré pour plusieurs dizaines de millions de FCFA des centaines de pièces du four rotatif et des sacs de filtration à Kyzen via le port de Kribi en 2021.
Sur le plan environnemental, les experts disent avoir trouvé des niveaux de plomb allant à 1,6 % à l’usine, 15% au niveau de la clôture et ces experts parlent d’une « contamination importante ».
« Christian souffre de problèmes respiratoires, quand ça commence, il respire fortement », explique Virginie en épluchant les pommes de terre près de son petit-fils de 9 mois profondément endormi.
Talom Virginie est tenante d’un restaurant spécialisé dans la vente de mets locaux situé à une vingtaine de mètres de l’usine de Kyzen. Deux des trois enfants de Virginie, Christian 14 ans et Stéphane 10 ans, ont régulièrement des problèmes de santé.
Virginie dit avoir fait des examens médicaux qui ont tous été négatifs. A l’Hôpital, le personnel lui a expliqué que la voie respiratoire de Christian est « petite » mais devait s’élargir au fur et à mesure que l’enfant prendrait de l’âge. Il n y a toujours pas de changement, dit-elle.
« Quand il tousse, il dit qu’il a mal aux côtes ».
Depuis deux mois, les narines de Stéphane coulent tous les matins, dit Virginie qui vit dans le bloc depuis 2008. « Quand c’est ainsi, je lui donne des médicaments et ça calme puis ça revient plus tard », explique Virginie. Elle dit qu’elle nettoie plusieurs fois les ustensiles du restaurant souvent envahis par des particules provenant des fumées.
Les batteries au plomb contiennent de l’acide sulfurique et de grandes quantités de plomb, fait savoir l’EPA. L’acide, est extrêmement corrosif, constitue un bon vecteur pour le plomb soluble et les particules de plomb. Si l’acide s’écoule sur le sol, il peut contaminer le sol, qui devient alors une source de particules de plomb à mesure que la solution se dessèche et que le plomb s’incorpore aux particules de sol qui peuvent être soulevées par le passage des véhicules ou emportées par le vent.
Une autre riveraine, Liliane Judith, 33 ans, dit qu’elle fait boire de temps à autre du lait non sucré à ses deux filles âgées de 4 et 7 ans qui souffrent de toux, de grippe et de vomissements.
L’industrie qui apporte le développement nous tue
« Même la nuit, la fumée nous empêche d’étudier à la maison et de dormir, ça me choque parce qu’on doit avant tout préserver l’environnement », se lamente Christian Tonang, élève en classe de terminale scientifique au Lycée d’Oyack.
« La même industrie qui nous dit qu’elle apporte le développement et celle qui nous tue par la suite ».
Une partie de la population avait manifesté sa colère au moment où elle avait été déguerpie par les autorités pour que Kyzen s’installe. Plus tard, plusieurs jeunes sans emploi avaient vu en l’arrivée de Kyzen une occasion de sortir de la précarité mais ils ont changé d’avis, dit Paul Siledjé, le chef du bloc 7.
« Ces jeunes gens ont abandonné à cause de la forte chaleur, la fumée toxique et les mauvaises conditions de travail », a dit Siledjé à The Museba Project au cours. « Ils travaillaient parfois pied-nu, sans masque de protection, sans casque ni gang, ils n’ont aucun équipement de protection individuelle, de sécurité et de suivi ».
Siledjé a dit qu’il s’est installé dans la localité il y a 30 ans et est devenu chef de bloc depuis 15 ans. Il dit que sa population se plaint de la fumée et d’autres déchets en provenance de l’usine de recyclage des batteries mais il leur dit qu’il ne peut rien faire.
« Les eaux mélangées à de l’acide et du plomb qui sortent de l’usine coulent jusqu’au bas fond dans les marécages où jouent les petits enfants », a expliqué Siledjé.
Le chef du bloc dit avoir constitué une délégation de riverains qui a rencontré un responsable de Kyzen.
« Là-bas, le responsable nous a fait savoir qu’il a tous les papiers qui l’autorisent à s’installer dans cette zone », a déclaré Silédjé . » Je n’ai aucun pouvoir pour leur dire de quitter ».
Kyzen Global sarl n’a pas repondu aux questions de The Museba Project malgré plusieurs relances.
Le Cameroun est connu comme étant l’un des pays ayant un taux d’emploi faible en milieu urbain. Tous les jours, des chercheurs d’emploi sont prêts à faire les activités les plus incroyables dans les métropoles comme Douala pour gagner leur vie; mais quand il s’agit de travailler dans une usine de recyclage de batteries au plomb usagées, peu de monde est intéressé.
Metafrique Cameroun, une autre usine de recyclage des batteries au plomb se trouve à environ 5oo mètres des installations de Kyzen. Les experts disent avoir prélevé un échantillon de sols dans la zone résidentielle d’Oyack à proximité d’une école, d’un hôpital, des magasins d’alimentation et avoir trouvé des niveaux de plomb 20 fois supérieurs à ce que l’EPA considère comme une menace pour la santé publique.
« L’échantillon de sol doit avoir été prélevé dans la zone de stockage des déchets de batteries. Si tel était le cas, l’échantillon prélevé contiendrait 100 %, sans quoi je ne peux pas justifier d’autres raisons », a déclaré Ahmed Jaber, le directeur général de Metafrique Cameroun dans une interview avec The Examination.
Metafrique Cameroun, titulaire d’un permis environnemental obtenu des autorités en avril 2014, sous traite son activité de recyclage à une Pme camerounaise qui embauche et paie des ouvriers.
Arun Goswami qui est présenté dans les documents de la justice et de la zone franche industrielle comme le PDG de Metafrique Cameroun a dans une interview accordée à The Examination, déclaré que « ni moi ni ma famille ne détenons d’actions dans les sociétés du groupe Metafrique, que ce soit directement ou indirectement ».
Mirabelle et Minette vendent de la nourriture dans les gargotes à une dizaine de mètres de l’usine de Metafrique. Quand les émissions de fumées de l’usine se font menaçantes, elles protègent les narines avec des mouchoirs ou des cache-nez, disent-elles. Après le restaurant, ces mères de famille regagnent leur domicile, accueillies par de petits enfants qui touchent leurs vêtements et ustensiles couverts de particules nocives.
« C’est Dieu qui nous protège », dit Mirabelle. « On ne m’a jamais dit que l’enfant a telle maladie à cause de la fumée que j’avale », dit Minette.
En 2013, l’Association des journalistes africains pour l’environnement(Ajafe) avait publié un rapport accusant Metafrique Cameroun d’avoir rendu malades les employés et les résidents proches de l’usine, en signalant des cas de toux, de nausées et d’éruptions cutanées.
« Je n’ai pas connaissance d’un tel rapport. S’il existe, il doit être faux et considéré comme de la propagande », a dit Ahmed Jaber à The Examination.
En 2018, un article scientifique a examiné la présence de plomb dans le sol à l’intérieur et autour des usines de recyclage de batteries plomb-acide en Afrique. Metafrique Cameroun était l’une des entreprises concernées.
Le sol testé à l’extérieur de l’usine Metafrique a donné le résultat le plus élevé au Cameroun et le troisième plus élevé en Afrique : 19 000 milligrammes de plomb par kilogramme. Ce résultat est près de 50 fois supérieur à ce que l’EPA considère comme une valeur de référence pour l’élimination des sols contaminés dans les quartiers résidentiels.
Ahmed Jaber dit n’avoir « aucune idée » de ce rapport.
Goswami a déclaré que « nous avons toujours respecté les normes locales et les exigences légales du pays dans lequel nous opérons ».
Le maire de la commune de Douala 3eme joint au téléphone n’a pas souhaité répondre à The Museba Project. Un cadre de la cette mairie, qui n’était pas autorisé à parler à la presse a toutefois indiqué sous anonymat « on croyait que ces entreprises opèrent en symbiose avec les populations, on ne savait pas qu’il y avait des plaintes ».
Un matin frais de novembre 2023, Henriette est vêtue d’un vieux polo à col roulé, d’un pantalon noir avec des chaussures en plastique aux pieds. A coups de houe, elle désherbe son champ de « ndolé » d’un demi-hectare situé près d’un mur défraichi de l’usine de Ganesha Cameroon sarl, en pleine zone franche d’entreprise de Bonaberi, à l’Ouest de la ville de Douala.
Au Cameroun, le « ndolé » est aussi populaire que le football.
Ce plat local fait à base des feuilles vertes de vernonia fait saliver du monde pour son goût exquis. Auparavant, le vernonia était cultivé sur de petites portions près des habitations villageoises pour la consommation familiale. Avec le temps, la demande croissante du ndolé même au delà des frontières nationales a obligé des cultivateurs comme Henriette a acquérir des espaces plus vastes pour accroitre l’offre.
Pendant les vacances, cette sexagénaire emmène ses petits fils au champ pour travailler mais elle se retrouve toujours seule quelques heures plus tard.
« Chaque fois, les enfants se grattent les yeux et sont intoxiquées par les odeurs fortes. Leur maman a insisté que les enfants continuent de travailler en se protégeant avec des cache-nez mais à un moment, c’était devenu insupportable, elle a décidé que les enfants et elle ne mettront plus pied au champ », dit Henriette d’un air abattu.
Au cours de leur visite en juillet dernier, les experts disent avoir recueilli un échantillon de sol à l’intérieur de l’usine de Ganesha près du hangar principal et deux autres échantillons « composites » à environ 100 et 350 mètres de l’usine, précisément dans les champs agricoles environnants comme celui de Henriette. Ils ont
Les champs agricoles situés jusqu’à une distance de 100 mètres de l’usine avaient une concentration de plomb plus de 70 fois plus élevés que la valeur de référence de l’EPA pour l’élimination des sols contaminés dans les sites résidentiels.
Une mauvaise nouvelle pour les petits enfants de Henriette car les concentrations supérieures à 0,008% sont considérés comme dangereuses pour les enfants, disent les experts.
Les petits enfants de Henriette souffrent de toux, de grippe, dit-elle. Ils devraient faire des tests pour dépister le plomb et connaitre l’ampleur de la contamination, conseillent les scientifiques qui rappellent que le plomb est une substance chimique très toxique pour l’organisme humain même lorsqu’il est de faibles doses.
La réglementation manquante
« La population n’est pas informée sur les facteurs de risque de contamination au plomb et encore moins des manifestations cliniques », a déclaré Dr Irène Wagou Nintcheu qui fait savoir qu’il faut en moyenne 30.000 f CFA pour effectuer un test de plombémie. » Sur un long terme, l’intoxication peut entrainer un retard de croissance staturo-pondéral, un déficit intellectuel, une anémie réfractaire ».
The Museba project a adressé à sa demande un questionnaire à Ganesha Cameroon qui n’a plus réagi.
Le Cameroun ne dispose pas d’une réglementation spécifique qui encadre l’industrie du recyclage des batteries au plomb usagées. La loi sur les établissements classés dangereux, insalubres ou incommodes dit que les établissements générateurs de pollution solides, liquides ou gazeuses comme les usines doivent procéder à l’auto surveillance de leurs rejets. Et sont assujettis au paiement de la taxe annuelle de la pollution lorsqu’ils polluent l’environnement.
« Ces industries profitent de la faiblesse ou absence du cadre juridique pour ne pas investir dans les technologies propres et équipements de contrôle de pollution appropriés » a déclaré Dr Kuepouo.
Contacté dans le cadre de cet article, le ministre de l’environnement n’a pas fait de commentaire.
Les experts ont également relevé d’autres insuffisances à la charge des entreprises de recyclage: l’absence d’une station de traitement des effluents, le transport des batteries vers l’usine dans des camions ordinaires, le démontage manuel des batteries par des travailleurs sans équipement de protection personnel adéquat, l’absence d’un système de gestion des flux de déchets dangereux, l’absence d’un système de ventilation ou de filtration de l’air
« Il fautdrait qu’on mette sur pied une commission chargée de faire du lobbying à l’international pour contraindre ces entreprises à respecter les recommandations et rendre leur activité plus humaine », dit Alain Fréjus Ngompe, le directeur exécutif de Ajafe.
Agathe Ngo Nkot a perdu le sommeil à cause de ses enfants malades. Elle a perdu de vue son conjoint qui a « fui » après sa dernière grossesse. Maintenant, elle n’a qu’un souhait: » que les fumées ne nous dérangent plus » .
Images: The Museba project et The Examination
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