Depuis des années, des centaines de millions de francs CFA ont été envoyés aux autorités municipales de Nola, une ville du sud de la République centrafricaine (RCA). Cet argent, provenant des impôts et taxes payés par les entreprises forestières opérant dans la zone densément boisée, est destiné aux services publics comme la construction d’hôpitaux, d’écoles, de marchés et de nouvelles routes reliant les zones rurales à la ville. Entre 2015 et 2020, la municipalité a reçu bien plus de 726 millions de FCFA, soit 1,3 million de dollars US d’une seule entreprise. Mais la population locale n’a vu aucun résultat.
L’histoire est la même dans d’autres parties de la RCA. Le bois, qui représente la moitié des recettes d’exportation de la RCA, offre aux élites politiques du pays des opportunités élaborées de les détourner vers leurs propres poches. Quelle est la voie à suivre lorsque les grandes sociétés extractives internationales paient leurs impôts, mais qu’un État kleptocratique continue de siphonner ces fonds ?
« Les tensions sociales vont continuer à monter et les gens pourraient bien se retourner contre les autorités. » Enquête sur l’héritage pervers d’un système «concessionnaire ».
Diamants, or, bois et rébellions armées
Chaque fois que la République centrafricaine fait l’actualité, c’est invariablement pour toutes les mauvaises raisons. Le souverain mégalomane Jean-Bédel Bokassa, installé par la France en 1965, s’est couronné empereur douze ans plus tard lors d’une cérémonie qui a coûté la totalité du budget national annuel du pays.
Après l’éviction de Bokassa en 1979, également par la France – qui a envoyé des troupes pour le faire plier -, le pays a pansé ses plaies jusqu’à des élections plus ou moins démocratiques en 1993. Depuis, coups d’État, contre-coups d’État, troubles et rébellions armées rythment la vie d’ici , culminant dans les raids horriblement destructeurs des gangs armés opposés (les tristement célèbres Séléka et Anti-Balaka) qui ont dévasté la vie de bon nombre des cinq millions d’habitants du pays. Une élection présidentielle de 2015-16 a rétabli un semblant de normalité dans la capitale, Bangui, mais l’insécurité reste omniprésente dans de nombreuses régions du pays, malgré la présence d’une (encore) mission de maintien de la paix de l’ONU et de mercenaires russes.
Les diamants ont été la marchandise la plus connue de RCA, ne serait-ce qu’à cause du légendaire colis de diamants que l’ancienne présidente française Valérie Giscard d’Estaing a reçu de l’empereur Bokassa. L’extraction de l’or se produit également dans diverses régions du pays. Mais le pilier de l’économie d’exportation de la RCA est le bois.
Nola, à 457 kilomètres de la capitale Bangui, est la principale localité de la préfecture densément boisée du sud de la Sangha-Mbaéré, frontalière du Cameroun et de la République démocratique du Congo (1). Deux grands fleuves, Kadeï et Mambéré, coupent la ville en trois parties. Si vous venez de Bangui par voie terrestre – une tâche difficile sur des routes non goudronnées – vous devez traverser la rivière pour vous rendre dans la partie de la ville qui abrite l’administration civile. Il est censé y avoir un ferry, mais la plupart du temps, vous constaterez qu’un bateau en bois ouvert (appelé «pirogue») vous attend. Il n’y a pas de ponts, même si le gouvernement central en avait promis un en 2018.
Se vendre
Nola manque également de routes goudronnées et d’électricité. Ceux qui peuvent se le permettre achètent des générateurs d’électricité coûteux, qui sont ensuite alimentés par du diesel relativement bon marché introduit en contrebande en ville depuis Kenzou, au Cameroun voisin. Ceux qui peuvent se le permettre, c’est-à-dire ceux qui vivront probablement dans l’une des maisons les plus chics de Nola, gagnent leur argent soit grâce à l’exploitation artisanale de l’or, soit en vendant le bois de la région.
Le dernier recensement, tenu en 2003, met la population de la commune à 85 000 ; il est susceptible d’être beaucoup plus aujourd’hui. La plupart des habitants de cette région vivent de la terre ou des rivières. L’agriculture et la pêche sont les activités principales, à côté de l’élevage et en utilisant tout ce qui peut être récolté dans les forêts : champignons, feuilles qui peuvent être utilisées pour la cuisine, chenilles comestibles qui se vendent à bon prix sur le marché. Certains habitants sont salariés des entreprises forestières (2) qui opèrent dans la zone et certains travaillent dans le secteur de l’exploitation aurifère. Ce dernier tombe carrément dans la catégorie artisanale; une seule mine semi-industrielle est exploitée par une société chinoise.
En ce qui concerne les commodités, il n’y a pas grand-chose à dire. Les écoles et les hôpitaux, comme il en existe, sont en très mauvais état. Souvent, les cliniques ne peuvent offrir que les services les plus élémentaires parce qu’elles manquent à la fois de l’équipement et des médicaments pour faire autre chose. (Ne faites pas l’erreur d’avoir un accident à Nola.) Dans les écoles, les classes sont invariablement grandes, avec jusqu’à quatre-vingts élèves entassés dans une pièce, parfois plus. Les marchés, par définition le principal échange économique dans des endroits comme ceux-ci, se déroulent en plein air, sans protection contre le soleil ou la pluie pour les vendeurs – pour la plupart des femmes – et leurs marchandises.
Pourtant, il y avait du financement pour un bâtiment approprié pour le marché. Et pour un certain nombre d’écoles, de cliniques et de routes, qui devaient toutes être construites par la municipalité de Nola, avec un budget suffisant pour le faire.
Timberland
La société Timberland, relativement nouvelle venue sur la scène centrafricaine, a été créée en 2015 et est un acteur de premier plan dans la région de Nola depuis cinq ans. Sa concession est vaste : 228 836 hectares, selon le plan de gestion forestière de l’entreprise, vu par ZAM. Le plan indique que la « superficie utile » s’élève à 166 357 hectares, sur lesquels il peut couper des arbres pour l’exportation. Elle emploie près de trois cents travailleurs, la plupart à Nola et dans ses environs mais aussi sur ses concessions de Bilolo, à vingt-quatre kilomètres à l’ouest, et de Salo, à soixante-trois kilomètres au sud.
Le directeur général de Timberland est assez fier du bilan de l’entreprise. Augustin Agou, ancien membre du parlement du pays pour le premier arrondissement de la capitale Bangui, déclare que « (Timberland) a pu employer plusieurs femmes et jeunes dans chaque endroit où nous travaillons. Nous pensons qu’employer des femmes et des jeunes qui étaient auparavant sans travail contribue à une réduction du chômage (dans ces zones).’
L’entreprise veut également faire savoir qu’à la demande du chef du village, elle a construit une école dans le village de Komassa, et qu’elle a fait de même dans deux autres localités de la communauté de Nola, Mbiya et Monguiza. Remarquablement, ils ont financé ces écoles séparément, en plus de l’argent qu’ils ont également versé aux autorités municipales locales, dans le même but. C’est l’autorité municipale de Nola qui était en fait censée construire les écoles. Où est passé l’argent versé par Timberland à l’autorité municipale de Nola, est une question qui restera sans réponse.
On ne sait pas où est passé l’argent versé par Timberland.
Langage noble
Il existe un Code forestier, adopté en République centrafricaine en 2008. Le texte contient des termes élevés, entre autres sur la conciliation de l’exploitation des produits forestiers avec les exigences liées à la conservation du patrimoine forestier et de la diversité biologique de la nation, et sur la protection de la forêts de manière à ce qu’elles puissent commencer à se régénérer une fois l’opération d’extraction terminée. La loi suit tous les traités et accords internationaux pertinents dont la République centrafricaine est signataire.
Le Code forestier prévoit également un plan de gestion forestière, qui nous indique la superficie sur laquelle une société d’exploitation forestière est autorisée à opérer et où se trouvent les limites de ces zones. Il stipule en outre les types précis d’arbres qu’une entreprise donnée est autorisée à abattre et à exporter. Une version du document remis à ZAM par le directeur général de Timberland, Augustin Agou, nous donne les noms locaux des arbres que la société est autorisée à exporter, avec leurs descriptions latines telles que Autranella Congolens et Pycanthus Angolensi.
Ce n’est pas tout ce qu’Agou montre à ZAM. Nous avons également un aperçu de leurs dossiers financiers, qui montrent que Timberland verse douze millions de FCFA par mois, soit plus de 21 000 $ US, à la municipalité de Ndola. Cela représente trente pour cent de tous les impôts et taxes que l’entreprise doit payer aux autorités ; le reste va au gouvernement national. Les autorités locales devraient utiliser leur part pour fournir des services de base, tels que des cliniques et des médicaments, de nouvelles écoles ou la restauration d’écoles existantes là où cela est nécessaire, la construction et la restauration de routes rurales, qui sont dans un état lamentable dans tout le pays, et la construction des bâtiments du marché. En cinq ans d’exploitation forestière entre 2015 et 2020, cela s’est traduit par le transfert d’un peu plus de 726,6 millions de FCFA ou 1,3 million de dollars US par le seul Timberland.
« Les autorités municipales ici à Nola reçoivent des centaines de millions des entreprises qui exploitent les forêts de notre région, mais nous ne savons jamais où vont ces fonds », explique Gatien Ngoma, président de l’association locale des jeunes de Nola. Ngoma ne cache pas son dégoût devant la mauvaise gestion de ces fonds. « Cette commune dispose d’un budget (annuel) d’environ quatre-vingts millions de FCFA (145 000 US$) et cent millions de FCFA (180 000 US$). Mais encore une fois, nous n’avons aucune idée à quoi sert réellement l’argent qu’ils collectent. Regardez l’état de cette ville ! » Il ajoute : « Il ne se passe jamais rien (pour améliorer le quartier). Même le personnel du bureau des maires a du mal à être payé à temps. Au moment où je vous parle maintenant, le paiement des salaires a été retardé. » Il prévient que « les tensions sociales continueront de monter » et que les gens pourraient bien « se retourner contre » les autorités locales.
En se promenant dans Nola, ce que dit Ngoma est clairement vrai. Aucun établissement de santé publique n’a été construit ou approvisionné, aucune école n’a été rénovée. Les trois seules choses qui ont été construites au cours des dernières années sont un panneau routier à une intersection à dix kilomètres de la ville (voir photo), un tout petit hôtel (voir photo) et une structure en plein air qui est censée devenir un marché couvert pour les vendeurs locaux, mais est inachevé. En calculant les coûts probables de ces structures, ZAM a constaté que le panneau routier et l’auberge (de seulement trois chambres) étaient fortement surévalués et surfacturés à quarante millions de FCFA (72 000 $ US), ce qui fait suspecter un rembourrage pour les pots-de-vin pour les les responsables de la mise en service. Aucune trace du financement restant, alloué à la municipalité par Timberland, n’a pu être trouvée.
Les villageois réparent eux-mêmes les routes, facturant des redevances sur le trafic commercial.
Cette pratique se répète à travers le pays. Loin de la préfecture de Sangha-Mbaéré, en route vers Bangui, on retrouve la même situation dans la préfecture de Mambéré-Kadeï et sa capitale Berberati. Ici, diverses sociétés forestières comme SEFCA (Liban) et SESAM (France) et encore une fois aussi la propre Timberland de la RCA, détiennent des concessions dans la zone forestière de Berberati. Ici aussi, ils paient trente pour cent de leurs impôts et taxes aux autorités municipales locales. Et là aussi, les écoles et les hôpitaux sont dans un état lamentable, les marchés restent à découvert et les routes rurales sont entretenues au hasard par les villageois qui, pour gagner de l’argent pour ce travail, érigent des barrages routiers improvisés où ils facturent des frais de trafic commercial.
L’histoire du gouvernement national, qui après tout reçoit soixante-dix pour cent des impôts et taxes payés par les sociétés forestières, ne diffère pas de ce qui se passe au niveau municipal. Le fait que les enseignants dans tout le pays sont mal formés ou pas du tout formés, qu’aucun médicament n’atteint même jamais les zones rurales et que les routes nationales sont tout aussi mauvaises que les routes régionales, les concerne carrément.
Un héritage perverti
Le gouvernement national de la RCA a historiquement été autorisé à négliger simplement toute zone (boisée ou non) en dehors de la capitale. Un ancien « système concessionnel », jadis introduit par la puissance coloniale française, sous-traitait littéralement l’exploitation des ressources présentes dans ces zones à des entreprises privées, en l’occurrence le bois. Les entreprises peuvent retirer ces ressources de la zone tant qu’elles paient des « taxes » aux autorités. Cette taxe est censée éduquer les enfants et soigner les malades, ainsi que financer la construction de routes, de marchés et d’autres infrastructures dans les lieux où travaillent les entreprises. Mais personne ne s’assure que les autorités locales le font réellement. C’est ce système qui a perverti l’État à tous les niveaux et transformé les autorités supposées gouvernant le pays en des organes qui absorbent simplement de l’argent, mais ne se sentent pas obligés de servir les citoyens.
La position de concession
Lorsque la France a colonisé la République centrafricaine, elle s’est lancée dans une gigantesque opération de démembrement d’actifs. Pour cela, il a fait deux choses : il a engagé des sociétés pour faire le démembrement des actifs pour le compte de la France et il s’est assuré que ces sociétés payaient le Trésor français pour le privilège. Cela a abouti à la création d’un système violent d’exploitation impitoyable, qu’il s’agisse de l’ivoire qui pouvait être obtenu avant que la chasse à l’échelle industrielle n’anéantisse la quasi-totalité de la population d’éléphants, ou des diamants et de l’or qui ont été découverts, ou de la culture du coton introduit dans la première moitié du 20e siècle, ou s’emparer des abondantes ressources forestières du pays.
Le « système de concession », comme on l’appelait, fonctionne jusqu’à ce jour ; seulement maintenant, au lieu de payer le Trésor français, les entreprises paient le gouvernement centrafricain « indépendant » et ses autorités locales. Pendant ce temps, tout comme au bon vieux temps de la colonie, l’élite politique locale qui habite ces structures, fait peu ou rien. Le système de concession a depuis été étendu aux zones non exploitantes, où des institutions extérieures au moins formellement « prennent soin » des citoyens centrafricains. Le maintien de la paix et les soins de santé sont deux de ces domaines, qui sont désormais principalement menés par les Nations Unies, des groupes de mercenaires étrangers et – dans le cas des soins de santé – par des ONG internationales.
Les donateurs autorisent le siphonnage ou détournent le regard.
Les acteurs étrangers en RCA participent à ce système. Les entreprises paient d’importantes sommes d’impôts et de prélèvements aux différents niveaux de l’administration, ce sur quoi les autorités continuent d’insister (en fait, on pourrait dire que les autorités centrafricaines voient leurs devoirs principalement en termes de collecte d’impôts : les observateurs qualifient régulièrement le gouvernement de -obsédé’). Dans le même temps, les entreprises s’engagent également dans ce que l’on pourrait appeler du travail social, souvent à la demande de dirigeants communautaires tels que les chefs de village, qui considèrent la présence d’entreprises comme Timberland comme le dernier recours pour accomplir un travail que leur propre gouvernement pas faire. Les organisations internationales de développement et les donateurs laissent détourner une partie des largesses qu’ils accordent au pays ou détournent le regard lorsque leurs « partenaires » locaux se servent eux-mêmes de ressources qui devraient profiter à la population.
Un comité papier
Remarquablement, le gouvernement national tente parfois de donner l’impression de gérer un service public. Une recherche de ZAM dans les archives du gouvernement de Bangui a mis au jour un arrêté interministériel (numéroté 009/MISCP/CAB), qui met en place un comité interministériel de neuf membres chargé d’approuver ou de rejeter les programmes prétendument financés par les taxes et prélèvements des sociétés forestières. Il est supervisé par le ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique qui, sur le papier, délègue deux représentants au comité, tout comme le ministère des Eaux, Forêts, Chasse et Pêche. Plus loin dans le comité siègent un représentant du ministère de l’Administration territoriale, deux des autorités locales (en l’occurrence Nola) et enfin deux des organisations locales travaillant dans la commune.
Selon l’arrêté interministériel, cette structure de poids lourds a pour mission d’évaluer les plans qui sont soumis à l’approbation des collectivités locales (en l’occurrence toujours Nola). Encore une fois, selon l’Ordre, le comité doit rédiger un rapport à la suite de chaque réunion, qui doit contenir des informations sur les programmes qui ont été approuvés. Il doit ensuite transmettre ces rapports au ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique.
Il n’y a qu’un seul problème. Aucun comité de ce type ne semble avoir jamais été mis en place. Aucun rapport ne peut être trouvé dans l’administration du gouvernement centrafricain. Il n’y a pas non plus de compte des dépenses engagées pour les programmes qu’il était censé approuver. ZAM a recherché des programmes Timberland en particulier, mais n’en a trouvé aucun. Le porte-parole du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité publique, Emmanuel Pabandji, affirme qu’il n’a jamais entendu parler d’un tel comité non plus. « Non, je ne pense pas qu’une telle structure existe. Pour commencer, quelle est la date de cet arrêté interministériel et qui l’a signé ? » Mais ces détails manquent dans l’arrêté numéro 009/MISCP/CAB. De même, une étude approfondie des documents officiels du ministère des Eaux et Forêts n’a donné aucune trace des activités ou de l’existence de l’insaisissable Comité interministériel.
Un « système mafieux »
À Nola, et ailleurs en dehors de la capitale Bangui, le manque de contrôle du gouvernement central n’est qu’un aspect d’une situation où les élites dirigeantes locales s’emparent simplement de l’argent apporté par les entreprises et les donateurs. Les citoyens ordinaires n’ont pas leur mot à dire sur ce que font ces autorités locales, puisque celles-ci ne sont même pas élues, mais nommées par le gouvernement central (3). En conséquence, les maires et conseillers locaux doivent se plier au pouvoir qui vient de leurs protecteurs et bienfaiteurs au niveau national, avec qui ils partagent les impôts et taxes payés par les entreprises étrangères.
Un haut fonctionnaire du ministère des Eaux et Forêts l’a exprimé ainsi : « Tout d’abord, comme vous le savez, les maires ne sont pas élus par le peuple mais nommés. Alors, ils ne peuvent faire que ce que leurs maîtres, qui les ont mis en place, veulent qu’ils fassent. C’est pourquoi ces taxes et prélèvements ne sont pas utilisés comme prévu. Et cela ne s’applique pas seulement à Nola ; il y en a partout’.
Le responsable, qui a demandé à rester anonyme, a ajouté que les voix des populations locales sont tout simplement ignorées. « Savez-vous à quelle fréquence (ils) dénoncent ces réseaux frauduleux qui se financent avec l’argent des compagnies forestières ? Mais personne au niveau gouvernemental ne dit rien, et ces activités restent donc non autorisées. Tout le monde a sa part du gâteau et le système fonctionne de haut en bas. Les collectivités locales comme celle de Nola sont toujours couvertes par celles de Bangui’.
Et ainsi, les citoyens centrafricains sont obligés de rester debout et de regarder les arbres disparaître. Lors d’entretiens avec ZAM, les représentants de diverses associations de jeunes et de femmes de Nola ont tous confirmé qu’ils ne sont jamais consultés par leurs fonctionnaires locaux sur la manière dont se fait l’exploitation des forêts, et encore moins sur ce qu’il advient des revenus qui en découlent. Ils appuient tous l’idée d’un audit approfondi de ce qui entre et sort des caisses municipales, mais n’ont aucune idée si un tel audit aura lieu un jour.
Même le directeur général de Timberland, Augustin Agou, se retrouve impuissant. La question est : que peut-il faire, demande-t-il, visiblement bouleversé, lors de notre entretien. Il explique qu’il serait « tout seul » s’il commençait à dénoncer publiquement un « système mafieux » dont tout le monde sait qu’il existe, mais contre lequel il ne peut rien. Les élites de Bangui sont un petit groupe très soudé, qui resserrera très rapidement les rangs contre quiconque dénonce leurs manigances, dit-il.
Dénoncer publiquement ces malversations le mettra, lui et son entreprise, dans une position désavantageuse vis-à-vis de la concurrence, peut-être moins scrupuleuse (4). Agou ne veut même pas envisager un scénario où son entreprise cesserait de payer ses impôts jusqu’à ce que le gouvernement autorise la transparence comptable. Ce sera tout simplement la fin du permis de Timberland, dit-il, puisqu’il s’agira d’une violation du Code forestier de 2008.
Les questions posées par ZAM aux bureaux du gouvernement local à Nola ont été accueillies par le silence.
Fiacre Salabe
Remarques
- La RCA est subdivisée en seize préfectures, dont Sangha-Mbaéré, à peine plus petite que les Pays-Bas, couvre l’extrême sud-ouest du pays.
- Les entreprises qui travaillent dans les forêts sont désignées dans le présent article soit par les entreprises forestières, soit par les entreprises d’exploitation forestière, soit par les entreprises du bois.
- Lorsque la démocratie est arrivée en RCA en 1993 avec les toutes premières élections présidentielles et législatives ouvertes après trente-trois ans d’indépendance, il y avait un absent notable sur les listes électorales : les autorités locales.
- Par exemple, un rapport de juillet 2015 de l’ONG londonienne chargée d’enquêter sur l’utilisation abusive des ressources a accusé la société libanaise SEFCA d’avoir payé des milices Séléka pour protéger leurs installations en 2013, après que certaines d’entre elles aient été pillées et vandalisées. SEFCA n’a jamais répondu à ces allégations.
Cet article a été publié pour la première fois par Zam Magazine. Il a été traduit, amendé et contextualisé par Bram Posthumus.