«En maîtrisant les axes routiers, les groupes armés peuvent imposer des taxes, contrôler les activités commerciales rentables et les acteurs économiques qui y participent », relève un rapport de l’International Peace Information Service (Ipis). Tout porte à croire que la République centrafricaine est victime de ses nombreuses richesses naturelles, paralysée par le coup d’état de 2013. L’absence de l’administration publique et des forces de défense et de sécurité dans certaines parties du pays crée un vide au profit des groupes armés.
Dans les zones non contrôlées par le gouvernement, les groupes armés en ont profité pour contrôler le diamant, l’or, le bois, le café, et le bétail. C’est pourquoi un rapport International Crisis Group (ICG) en septembre 2017 a estimé qu’il faut « s’attaquer aux finances des groupes armés en Centrafrique, qui se battent pour le contrôle des ressources naturelles».
Le commerce du bœuf comme source de ravitaillement
La République centrafricaine, pays situé au cœur de l’Afrique, connaît depuis son indépendance en août 1960 des coups d’Etat, des mutineries et des rébellions. Depuis le coup d’Etat du 24 mars 2013, le pays sombre dans le chaos en dépit de l’élection d’un président en 2016. Les factions rebelles s’enrichissent à travers les rackets et les richesses du pays pour continuer les hostilités.
La commercialisation de bétail s’avère comme un moyen d’enrichissement illicite des groupes armés qui écument une bonne partie du territoire centrafricain. La ville de Bambari au centre du pays, et celle de Kaga-Bandoro au nord, sont sous le contrôle des factions rebelles de la Séleka. L’Union pour la Paix en Centrafrique (UPC), le Mouvement patriotique de Centrafrique (MPC), et le Front Patriotique pour la Renaissance de Centrafrique (FPRC) se départagent les localités de la région centre et nord de la Centrafrique où l’autorité de l’Etat est faiblement représentée.
Ces deux villes sont réputées pour le commerce de bétail. Les grands parcs des bœufs sont contrôlés par les chefs des factions rebelles de la Seleka. Sur chaque tête de bœuf qui y est achetée, ils prélèvent des taxes. Un opérateur économique centrafricain œuvrant dans le secteur privé, Dominique Yandocka, en évoquant les pertes dans les recettes, confirme ces faits.
« Les groupes armés se font du beurre sur le dos de la population à travers l’exploitation illicite des ressources naturelles. Ils contrôlent les mines et les bétails. Je vous donne un seul exemple. A Kaga-Bandoro, le Général Alkhatim du MPC prélève des taxes sur les bœufs qui sortent de cette ville. Il extorque 15,000 FCFA sur chaque tête de bœuf vendu ».
A Kaga-Bandoro, une ville considérée comme l’une des grandes bases militaires des factions rebelles de la Seleka, l’autorité de l’Etat n’existe pas.
« La présence des casques bleus ne fait pas peur aux groupes armés. Ils s’opposent au retour de l’administration de l’Etat car la présence des agents de l’Etat leur fait perdre le business », affirme une source humanitaire.
Pour couper court à ce circuit commercial, le Ministre Conseiller à la Présidence, en matière de l’élevage et de l’agriculture, Lamido Issa Bi Amadou, préconise la règlementation de la chaine légale du commerce de bovin.
« Les groupes armés ont occupé les zones d’élevage, après le coup d’Etat de la Seleka contre le régime de François Bozizé, en mars 2013. Dans les zones d’élevage, ces bandits armés se sont mis à voler le bétail des éleveurs. Donc beaucoup de bœufs sont convoyés vers les pays voisins notamment le Tchad et le Soudan par des mercenaires. Non seulement ils volent le bétail des éleveurs, mais ils tuent les propriétaires ».
Lamido Issa Bi Amadou estime que les groupes armés s’enrichissent à travers ce commerce de bovin. Car, d’après lui, une bête vendue à 200,000 ou à 500,000 FCFA (100,000 $ environ) au niveau local est revendue au niveau de la capitale à 700,000 ou 800,000 FCFA.
« Je vous l’affirme que ce commerce est aujourd’hui la source fiable de ravitaillement des rebelles. Un bœuf à 500,000 FCFA sur 1,500 bœufs par semaine, vous obtiendrez 750 millions de FCFA par semaine. Et ces fonds repartent dans les mains des bandes armées. Multipliez 750 millions par quatre pour un mois, vous aurez 3 milliards de FCFA. Donc par année, cela fait 36 milliards qui repartent dans les mains des chefs de guerre », a ajouté le conseiller spécial du Chef de l’Etat centrafricain, Faustin Archange Touadera et ancien porte-parole des éleveurs peuls.
Le contrôle des mines et du commerce
Les activités minières en République centrafricaine sont paralysées depuis la prise de pouvoir par les rebelles en mars 2013. Comme le dit Sylvain Marius Ngbatouka, chargé de mission au ministère des mines, «Les zones Nord-Est riches en diamant sont contrôlées par les rebelles qui profitent de l’absence de l’Etat pour exploiter les diamants ».
D’après des sources concordantes, les rebelles du Front Patriotique pour Renaissance de Centrafrique (FPRC) prennent le contrôle des sites de diamant dans la ville de Bria à l’Est du pays où il s’installe avec ses éléments. Ce qui le fait ravitailler en armes à travers le Soudan du Sud, pays frontalier avec la Centrafrique d’après des sources concordantes.
En regrettant cette situation, le ministre centrafricain des Mines et de la Géologie, Léopold Mboli-Fatran, a informé que le gouvernement se bat toujours avec ses partenaires afin de mettre de l’ordre dans la filière minière.
« En cette période de crise, le diamant ne rapporte pas grande chose à l’Etat, et encore moins à la population. Car les contrebandes de diamant fait perdre à l’Etat des sous. On exporte peu de diamant et c’est un manque à gagner pour l’Etat. Les groupes armés s’emparent des localités et contrôlent les ressources minières. Ce qui fait que le Processus de Kimberley nous interdit l’exportation de diamant des zones rouges. C’est-à-dire l’Est et l’Est du pays. Mais avec l’appui de nos partenaires, notamment la Minusca, l’USAID, nous faisons tout pour récupérer les zones sous contrôles des groupes armés. C’est un processus ».
Le 3ème arrondissement de la capitale Centrafricaine (Bangui) est fortement sous la menace des milices armées qui dictent leur loi à la population. En l’absence des forces régaliennes de l’Etat dans ce secteur réputé comme le poumon de l’économie de la capitale, les milices armées contrôlent le commerce. Les groupes de ces milices se créent dans le secteur grâce aux fonds cotisés par les commerçants et les opérateurs économiques qui les prennent en charge afin de veiller sur leurs boutiques et magasins face aux menaces des pillards.
Dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, le leader des milices armées du Pk5, Nimer Matar Alias Force, a avoué être chargé de protéger deux stations-service et quatre banques dans ce secteur face aux menaces des milices armées des quartiers périphériques de PK5.
Le 3ème arrondissement de Bangui, un secteur de la capitale où la prolifération des armes est monnaie courante, est majoritairement habité par la communauté musulmane. L’insécurité bat son plein et des milices armées cherchent à prendre le contrôle de ce secteur, considéré comme le poumon économique de la capitale afin de s’emparer des biens des commerçants.
En l’absence des forces de sécurités intérieures, les commerçants font recours aux milices appelées autodéfenses pour sécuriser le secteur et assurer la sécurité de leurs magasins et boutiques. Un commerçant de Pk5 souhaitant garder l’anonymat, nous le confirme : « Les milices armées de Pk5 vivent grâce aux fonds collectés auprès des commerçants des marchés Kokoro, Mamadou Mbaïki et Fodé. Ils perçoivent chacun des sommes variant de 30,000 FCFA à 50.000 FCFA, mensuellement par les commerçants pour assurer la protection du commerce. Les commerçants n’ont pas d’autre alternative que de faire recours aux milices afin d’assurer la sécurité de nos boutiques ».
Nimer Matar Alias Force, et You le Géant sont des redoutables chefs des milices armées du 3èmearrondissement de la ville. Ils ont été reçus plusieurs fois par le chef du gouvernement Simplice Mathieu Sarandji et le ministre de la sécurité publique, Henri Wanzé Linguissara dans leurs cabinets pour échanger sur la situation des groupes d’autodéfenses qui écument le secteur commercial de la capitale.
Des sources anonymes expliquent qu’ils bénéficient du soutien financier du gouvernement leur permettant de mettre de l’ordre dans ce secteur. Pour illustration, un quotidien centrafricain Le Confident, a relevé ce cas dans l’une de ses parutions.
« Nimery Matar alias « Force », chef des milices du quartier PK5 a avoué que le gouvernement à travers le Ministère de la sécurité publique lui verse 400,000 FCFA chaque semaine pour lui permettre d’entretenir ses éléments afin de mettre de l’ordre dans le 3ème arrondissement de Bangui. Les commerçants organisent des quêtes pour soutenir les milices au motif que celles-ci devraient assurer la sécurité de leurs biens. Ces quêtes sont estimées à la hauteur de plus de 6 millions de Francs FCFA par mois, par le Collectif des opérateurs économiques », a expliqué, Jérémie Walanda, journaliste au quotidien centrafricain « Le Confident ».
Au port de Kouango où se font les navettes des baleinières transportant des marchandises dans la préfecture de la Ouaka, les commerçants versent des taxes aux chefs rebelles qui créent des postes de la douane à défaut de la présence de l’Etat.
La quête de la stabilité
L’UPC qui est une faction rebelle de la Séléka composée des peulhs, sous le commandement du mercenaire nigérien Ali Ndarass, occupe la localité de Bambari, dans la préfecture de la Ouaka au centre du pays. Les villes de Mingala, Kouango, Yppi, Alindao et de Maloum qui sont riches en diamants sont ses zones de juridiction. Ils contrôlent les ressources naturelles, et prélèvent des taxes sur le commerce.
« Dans l’axe Yppi-Bangui où nous faisons des navettes commerciales, tu ne peux pas exercer librement ton commerce si tu ne verses pas les taxes aux rebelles sur les barrières. Nous sommes obligés de le faire pour nourrir note famille. Car, il n’y a rien à faire dans ce contexte. Seulement si les autorités peuvent déployer les forces de l’Etat pour règlementer les choses », a témoigné Mamadou Djalé, un vendeur de café dans la Ouaka.
Face à cette situation, le préfet de la Ouaka, Victor Bissekoin, exhorte le gouvernement à redéployer l’autorité de l’Etat afin d’assurer la libre circulation des personnes et des biens.
« Le contrôle des activités commerciales par les rebelles de l’UPC dans la préfecture de la Ouaka est un manque à gagner pour l’Etat. Les rebelles de l’UPC présents à Kouango contrôlent les affaires dans tous les sens. La préfecture est la grande perdante parce que les collègues chargés de collecter les différentes recettes ne sont pas en poste et cela profite aux rebelles. Ils sont là aujourd’hui grâce aux recettes à travers les taxes prélevées anarchiquement », a-t-il fait savoir.
Les groupes armés ont aussi leurs versions dans ce contexte. Le porte-parole de groupe rebelle UPC, Ousman Daouda, rejette cette accusation. Il retorque que son groupe assure plutôt la sécurité de la population face aux menaces des groupes armés notamment la milice Antibalaka.
« Je ne sais pas mais tout le monde nous accuse d’exploiter les diamants et prélever les taxes. Nous sommes dans ces zones pour sécuriser nos zones de contrôle afin de protéger la population contre les menaces des Antibalaka. Nous nous défendons contre leurs attaques. Nous ne sommes pas dans les mines. Nous vivons à travers nos activités et non à travers l’exploitation de diamant. Ces dires sont de nature à discréditer notre mouvement », rétorque Ousman Daouda.
Dans son discours du bilan de l’an 2 au pouvoir, le 30 mars 2018, le Chef de l’Etat centrafricain, Faustin Archange Touadera, a fustigé l’attitude des groupes armés visant à piller les richesses du pays.
« Comment expliquer la poursuite de la prédation et du pillage des ressources minières et fauniques du pays ainsi que la perception indue des taxes et impôts par des groupes armés, au détriment des services publics ? », se demande-t-il.
En mai 2013, la République centrafricaine a été suspendue du Processus de Kimberley qui certifie le l’exportation et le commerce pour son diamant qualifié de diamant du sang, à la suite de coup d’état en mars de la même année. Les richesses naturelles du pays, plus de 470 indices minéraux selon le rapport des états des lieux du secteur minier en septembre 2015, font l’objet de convoitise. Cela permet aux groupes rebelles qui contrôlent une bonne partie de ces richesses pour se ravitailler en armes et en hommes afin de continuer les hostilités.
L’avenir de ces richesses naturelles de la République centrafricaine réside dans le programme du désarmement des groupes armés enclenché par le gouvernement du pays avec l’appui de la communauté internationale pour permettre au pays de retrouver la stabilité.
Afin de faire face à la contrebande de ces ressources qui financent illicitement le conflit, le gouvernement a l’intérêt à appliquer une bonne politique du développement du cadre institutionnel et juridique permettant la mise en valeur de ce potentiel.
Une enquête publiée en juin 2018.