Un jeune homme venu de Centrafrique est discrètement entré dans la capitale économique camerounaise. Il a rencontré au plus quatre individus à qui il a expliqué que son ami, un chef de guerre, est traduit devant la justice internationale pour des accusations de crimes. Il a dit vouloir faire d’eux des témoins de son ami.
Ils se présenteraient au tribunal comme des soldats de l’armée centrafricaine, il a ajouté. Pendant deux jours, l’homme de 35 ans a construit un récit et adapté les témoignages que ces individus auront à répéter plus tard devant les juges.
Puis, il leur a attribué des grades de l’armée, leur a remis des insignes militaires, leur a promis de l’argent et une installation en Europe.
L’homme en question s’appelle Narcisse Arido, ex-soldat de l’armée centrafricaine qui, selon un jugement de la chambre de première instance de la Cour pénale internationale(CPI) rendu le 19 octobre 2016, a été reconnu coupable d’avoir « personnellement » corrompu quatre témoins pour apporter un coup de main à son ami Jean Pierre Bemba Gombo, chef de guerre congolais, accusé d’avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité en Centrafrique.
La juridiction basée à la Haye en Hollande a fait savoir qu’entre 2011 et 2014, Monsieur Arido a donné des instructions à quatre témoins en leur expliquant ou faisant expliquer qu’ils devaient faire croire au tribunal qu’ils sont des militaires « alors même qu’il pensait qu’ils n’avaient pas de tels
antécédents ».
Faux témoignages
Par la suite, Arido a non seulement donné des grades et insignes militaires à ces gens, dit le jugement de première instance de la CPI, mais il leur a également promis des récompenses financières consistantes et une installation en Europe en guise d’encouragement afin qu’ils fournissent à l’audience de faux témoignages et faux éléments de preuve profitables à Bemba.
« C’est de sa propre initiative et avec ténacité que Narcisse Arido a commis ces infractions sur deux jours à Douala », dit le jugement de première instance de la CPI.
Corrompre un témoin, dit la cour, rend impossible d’apprécier ce que le témoin a personnellement vécu et empêche la cour de s’acquitter de son mandat.
«La CPI s’occupe de la criminalité systémique », a déclaré Robert Cryer, professeur international de droit à l’Université de Birmingham en Angleterre.
« Si vous en poursuivez un, vous en avez d’autres qui ont un très grand intérêt à faire en sorte qu’il y ait un acquittement », a dit Cryer.
Toutefois, la CPI dans son jugement n’a mentionné ni les noms des témoins manipulés ni les détails des transactions d’argent entre Arido et eux.
Mais, grâce à des documents confidentiels du Trésor américain obtenus par The Museba Project en collaboration avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), The Museba Project a découvert que sur une période de dix ans, Arido aurait effectué une dizaine de transferts d’argent, évalués à plus de 5000$, à trois bénéficiaires parmi lesquels figureraient Arlette Josiane Tongui Bengue et Sylvie Ngo Manding, deux femmes basées au Cameroun au moment des faits.
L’information sur les transferts se trouve dans un document qui fait partie du FinCEN Files, la nouvelle enquête internationale de l’ICIJ et ses partenaires, dont The Museba Project. Les documents viennent du FINCEN, l’agence au sein du trésor américain chargé d’empêcher le blanchiment d’argent. Les transferts impliquant Arido, Bemba et d’autres associés se trouvent dans un document préparé par Western Union qui aurait facilité les transferts.
Les documents des FinCEN Files ont été reçus d’abord par BuzzFeed News qui les a ensuite partagés avec ICIJ qui a crée une collaboration mondiale.
The Museba Project n’a pu joindre Narcisse Arido pour avoir sa version des faits. Le centre d’accueil des demandeurs d’asile de Lyon en France où il a résidé pendant un moment dit avoir perdu ses traces.
« Après enquête, nous n’avons aucune information sur l’endroit où vit actuellement Narcisse Arido et comment le joindre », a dit dans un mail le 21 juillet dernier Madame Capucine Brochier, chef de mission communication du centre Forum Refugiés.
« Il a en effet été hébergé dans notre centre d’hébergement pour demandeurs d’asile pendant un certain temps, mais l’a quitté en janvier 2019 », a ajouté Madame Brochier.
Le premier jour d’Août 2019, des milliers de supporters étaient massés à l’aéroport international de Kinshasa pour vivre le retour au bercail de Jean Pierre Bemba Gombo à bord d’un jet privé. L’ancien vice président en charge de l’économie dans le gouvernement de transition en République Démocratique du Congo(RDC), avait annoncé depuis l’étranger sa candidature à l’élection présidentielle. La commission électorale a plus tard invalidé cette candidature et la place que Bemba convoitait est occupée par Felix Tshisekedi, l’actuel président de la RDC.
Mais, la foule bigarrée venait surtout s’assurer que leur leader respire bien un air de liberté après une longue absence. Bemba n’avait pas mis pied en RDC depuis dix ans. Il était détenu à la CPI pour répondre des accusations de crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en République centrafricaine.
Né le 4 novembre 1962 à Bokada, dans la Province de l’Equateur, Jean pierre Bemba Gombo a fondé en 1998 le Mouvement de Libération du Congo(MLC), un parti politique dont la branche armée a, entre 2002 et 2003, volé au secours du président centrafricain Ange Félix Patassé qui combattait militairement la rébellion menée par le général François Bozizé. Le violent conflit armé qui s’en est suivi aux entours du fleuve Oubangui a fait plusieurs victimes civiles et militaires.
En juin 2005, l’Etat centrafricain avec à sa tête Bozizé a adressé au procureur de la CPI une plainte contre Jean Pierre Bemba et ses troupes pour meurtres, viols et pillages, des infractions classées parmi les crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Au camp d’en face, Bemba et certains de ses lieutenants ont commencé à préparer la bataille judiciaire sans exclure la possibilité de recruter et de corrompre des témoins à décharge. La CPI a indiqué, dans un article paru sur son site internet, qu’entre 2011 et 2014, Bemba et certains de ses proches ont corrompu des témoins « en leur donnant de l’argent et des instructions pour fournir de faux témoignages » dans la salle d’audience.
« La falsification de témoins est probablement répandue dans les affaires portées devant la CPI », a déclaré Dr Rossella Pulvirenti, enseignant de droit à l’Université John Moores de Liverpool, même si Bemba et ses associés restent les seules personnes condamnées.
La CPI s’appuie fortement sur les témoignages pour se prononcer sur les affaires enrôlées, a indiqué Dr Pulvirenti.
« Si vous réussissez à corrompre un témoin, vous avez très probablement résolu votre problème », a déclaré Dr Pulvirenti.
« Je veux arrêter cette conversation maintenant… »
Lors d’un bref appel WhatsApp avec un journaliste de l’ICIJ, Bemba a nié la falsification de témoins et a nié avoir payé des pots-de-vin via Western Union ou Moneygram.
«Non, c’est absolument faux», a déclaré Bemba. « Je n’étais pas en mesure de le faire. »
Bemba a suggéré que l’affaire de falsification de témoins était en cours, mais a refusé de s’étendre. La CPI a déclaré à l’ICIJ que l’affaire était [en attente].
« Je veux arrêter cette conversation maintenant car elle est toujours en suspens », a déclaré Bemba. « Bye Bye. »
On ne sait si Bemba était au courant de tout ce que faisaient ses proches pour manipuler les témoignages en sa faveur. Mais, la chambre de première instance de la CPI a condamné Narcisse Arido, un de ses hommes de main, pour avoir suborné quatre des quatorze témoins de l’affaire principale.
Né le 15 mai 1978 à Bangui en RCA, Arido a fait ses études de droit et de
«Défense, sécurité et gestion des conflits et des catastrophes» à l’université de Yaoundé au Cameroun avant d’intégrer les forces armées centrafricaines jusqu’en 2001. Il a fait appel et a demandé l’annulation de sa condamnation et son acquittement.
Mais, de nouveaux détails pourraient changer le cours des choses. D’après des documents confidentiels des FinCEN Files, Arido aurait effectué entre le 28/12/2005 et le 09/04/2015, dix-neuf transactions d’un montant total de $5,491 auprès de sept agences Western Union basées en France et au Cameroun au profit, entre autres, de Arlette Josiane Tongui Bengue et de Sylvie Ngo Manding, deux femmes présentes au Cameroun.
Vous n’avez pas besoin du système financier international pour «faire le tour et menacer un témoin avec une clé à molette», a déclaré Cryer; mais les banques, les entreprises de services monétaires et autres paiements électroniques sont au cœur des autres formes d’intimidation des témoins d’aujourd’hui, a dit Cryer.
The Museba Project et ICIJ ont voulu savoir si les deux femmes savaient que Arido manipulait les témoignages et si les transferts qu’elles auraient reçus de lui avaient un lien avec cette activité.
Sylvie Ngo Manding n’a pu être jointe pour commenter.
En revanche, au cours d’un court échange téléphonique le 5 Août dernier, une dame qui serait Arlette Josiane Tongui Bengue, et qui réside actuellement à Sherbrooke au Canada, a d’abord dit que c’est illégal de chercher à la contacter.
« C’est illégal de me chercher jusqu’ici », a-t-elle déclaré au reporter de The Museba Project. « Je ne peux pas quitter le Cameroun jusqu’au canada et on cherche mon numéro ».
Elle a ensuite haussé le ton en citant le nom de Arido.
« Monsieur, tu ne dois pas me chercher jusqu’au canada pour dire que Arido a fait quoi, quoi », a-t-elle dit.
« Je suis entrain de t’enregistrer et ne m’appelle plus jamais ».(Elle a raccroché).
Plus tard, The Museba Project et ICIJ ont fait déposer un questionnaire à l’adresse canadienne de Arlette Josiane Tongui Bengue. Aucune réaction n’a été faite avant la publication de cet article.
#FinCEN Files est la nouvelle enquête internationale du Consortium International des Journalistes d’Investigation(ICIJ) en collaboration avec @BuzzFeedNews, The Museba Project – et plus de 400 reporters, 108 médias dans 88 pays.
Comments 9