23 décembre 2022, 9 heures du matin. Une dizaine de personnes prennent part à la mise en bière de Sepamio Sylver à la morgue d’un hôpital de la capitale économique du Cameroun. La dépouille du réfugié centrafricain est revêtue d’un costume noir, une chemise blanche et un nœud papillon noir. Ses amis et connaissances, tous en larmes, savaient que Silver vivait dans la précarité. Mais, s’ils sont autant bouleversés, c’est parce que le jeune homme de 31 ans n’est pas mort des suites d’une maladie ou d’un accident. Il s’est donné la mort après avoir longtemps attendu d’être réinstallé dans un pays développé.
Dans la petite foule qui disait au revoir au défunt, il y avait Christophe, un homme qui sait pourtant transformer le rêve de voyager à l’étranger en réalité. Christophe est membre d’un gang qui recrute en toute discrétion des personnes de tous âges, leur établit des documents de voyage réservés aux réfugiés contre de fortes sommes d’argent et leur trouve même un emploi décent dans un pays d’Europe, d’Amérique du Nord ou d’Océanie.
Alors que cette pratique viole les principes directeurs du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés(HCR)concernant le service de réinstallation, un employé de la branche locale du HCR est présenté comme étant le cerveau de ce gang constitué également d’éléments de la police camerounaise et de facilitateurs au ministère des relations extérieures, comme l’a découvert un reporter du journal en ligne The Museba Project au cours d’une enquête en immersion de plusieurs années.
Ce reporter de nationalité camerounaise s’est fait passer pour un individu à la recherche d’une opportunité de voyage. Le gang lui a indiqué qu’il payera la somme de 2.500.000 FCFA($4000) pour toutes les prestations: changement de nationalité, choix du pays d’accueil, délivrance d’une carte de réfugié, d’un passeport bleu, d’un visa et offre d’un emploi à Bratislava, la capitale de la Slovaquie en Europe de l’Est, la destination finale du reporter. Le gang a d’abord attribué la nationalité congolaise au reporter avant d’évoquer la république centrafricaine parce que les réfugiés centrafricains ont plus de chance d’entrer en Occident étant donné que leur pays est encore instable, selon le gang.
Le journaliste n’était pas seul dans l’aventure. Il a croisé un autre citoyen camerounais qui a changé de nom et de nationalité, et que le gang s’apprête à envoyer au Canada. Le reporter a également parlé à de faux réfugiés déjà installés en Occident après avoir utilisés le même réseau.
Plusieurs vrais réfugiés qui devraient bénéficier du service gratuit de réinstallation attendent désespérément. Pendant ce temps, le gang se fait jusqu’à 10 millions de FCFA($16000) par famille et par voyage, au point qu’un de ses membres a déclaré avec fierté:
« 80% de mes revenus proviennent de ce réseau ».
L’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés(Hcr) a été fondée en 1950 pour apporter de l’aide humanitaire aux réfugiés européens de la deuxième guerre mondiale. En juillet 1951, une convention relative au statut de réfugié a été adoptée par l’Assemblée générale dans le but de sceller cette décision. Mais, cette convention s’est avérée limitée parce qu’elle n’a pas tenu compte de l’apparition de nouveaux groupes de réfugiés à travers le monde.
En 1967, les nations sont revenues autour de la table en adossant un protocole à la convention, et en donnant au HCR la charge de promouvoir les deux accords internationaux sur la protection des réfugiés et de s’assurer de leur application par les signataires. Depuis ce temps, 148 pays dans le monde partagent une même définition du réfugié:
« Toute personne qui craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité; et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
Le HCR sauve des vies et protège les réfugiés, selon ses principes directeurs. Toutefois, lorsque le rapatriement volontaire et l’intégration locale du réfugié dans le pays d’asile sont impossibles, le HCR fait une demande de réinstallation du réfugié dans un pays tiers pouvant lui garantir la sécurité.
Hamma Hamadou est un ancien diplomate nigérien ayant travaillé de 1996 à 2001 à Bruxelles où il entretenait des relations avec les organisations onusiennes. Il pense qu’une attention particulière devrait être accordée aux personnes qui ont des difficultés en raison de leur origine, leur race, leur orientation sexuelle, etc.
« Ces personnes ont besoin d’une protection décente de la part de tous les Etats dans la limite de leurs moyens et en relation avec le système des Nations Unies « , a déclaré Hamma Hamadou. « L’humanité devrait constituer une seule communauté ».
Le programme de réinstallation ne s’adresse pas à tout le monde. Les personnes concernées doivent au préalable être reconnues comme réfugiés par le HCR, selon l’Agence des Nations Unies qui dit donner la priorité à la réinstallation des réfugiés « particulièrement vulnérables ».
Suicide
Sepamio Sylver espérait à tout moment être appelé par le HCR. Le temps passait, il prenait de l’âge et n’avait pas un emploi. Son père, Augustin Torote et lui, vivaient dans une maison construite en planches dans un quartier populeux de Douala. Manger à sa faim, payer le loyer ou se soigner étaient des défis quotidiens pour les deux hommes. Malgré tout, le jeune Sylver n’a pas baissé les bras. Il a commencé à emprunter de l’argent pour s’acheter des bijoux, des lampes rechargeables et des accessoires de téléphone qu’il vendait plus tard à la sauvette, raconte son père.
Sylver avait cependant l’air inquiet. « Lorsque je lui ai demandé s’il doit quelque chose à quelqu’un, il m’a répondu : « papa, c’est trop tard, tu me pardonnes » », dit Augustin Torote. Le jeune homme venait de prononcer ses derniers mots. Le dimanche 11 décembre 2022, Sylver s’est pendu dans la maison familiale. Torote venait de perdre un de ses six enfants. Il a su plus tard que Sylver devait 900.000 Fcfa ($1450) à son fournisseur.
Après une mise en bière à l’hôpital Nylon de Douala, le jeune réfugié a été inhumé en Centrafrique. Torote a dit au revoir à son fils à la frontière, son statut ne lui permettant pas de rentrer dans son pays natal.
Je rencontre Torote deux jours après le suicide de Sylver. Pendant notre entretien, il fond en larmes à maintes reprises et avoue que ce drame ne serait pas arrivé si le HCR avait réinstallé ses enfants et lui dans un autre pays.
« Je demande comme pardon au HCR de jeter un coup d’œil sur moi et les autres enfants qui sont encore en vie pour qu’on essaie de sortir d’ici », dit Torote en essuyant le visage avec un t-shirt noir. « Qu’on nous mette parmi les gens qui vont partir dans n’importe quel pays, on va se battre là bas. Perdre un enfant de 31 ans et rester encore ici, quand je tourne je vois son image, ça ne fait pas du bien ».
The Museba Project a parcouru une note d’informations du HCR Cameroun datant de mai 2014. Le document donne des précisions sur la réinstallation des réfugiés qui devrait se dérouler en sept étapes. Quand le HCR soumet un cas au voyage, apprend-t-on, le pays de réinstallation mène sa propre enquête sur le réfugié. Si le réfugié est approuvé, le pays de réinstallation lui fait une visite médicale et un contrôle de sécurité.
« Le pays de réinstallation, et non le HCR, prend la décision finale », dit le document sur lequel il est mentionné que la vulnérabilité ne garantit pas la réinstallation.
« L’identification d’un réfugié étant particulièrement vulnérable ne veut pas forcement dire que ce réfugié est éligible pour la réinstallation ou même en besoin de réinstallation », précise la note d’informations du HCR Cameroun. En clair, le HCR utilise désormais son pouvoir discrétionnaire pour choisir les réfugiés à réinstaller.
Le représentant du HCR au Cameroun a été sollicité dans le cadre de cette investigation. Il n’a pas souhaité réagir aux questions de The Museba project à propos des étapes, des quotas par pays tiers et de la fraude liés à la réinstallation des réfugiés.
Torote Sepamio Augustin, 59 ans, était un conducteur de taxi à Bangui, capitale de la république centrafricaine. Un de ses frères était lieutenant d’armée. Chaque matin, Torote prenait du plaisir à déposer les enfants de son frère à l’école. En 2005, il est interpellé par des gendarmes envoyés , dit-il, par un neveu de François Bozizé, président de la Centrafrique à cette époque .
« On disait que je sais où le lieutenant est parti parce que nous sommes de la même famille », raconte Torote qui disait aux gendarmes ne rien savoir sur la fuite de son frère. Il est emmené à la brigade de recherche pour être entendu mais les choses ne vont pas se passer comme les gendarmes avaient prévu.
« Il y avait un gendarme de la même ethnie que moi; il a compris que cette affaire n’est pas bonne. A 23 heures, il m’a appelé et il m’a dit: je vais te donner de l’argent puis je vais te demander d’aller m’acheter quelque chose, ne revient plus. C’est comme ça que j’ai pris fuite », se souvient Torote qui est ensuite passé par Berberati pour entrer à Garoua Boulai au Cameroun. Il dit qu’il a retrouvé dans les bureaux du HCR à Douala son frère militaire qui avait fui la Centrafrique.
« On s’est rencontré dans le bureau, on s’est embrassé et j’ai commencé à pleurer », raconte Torote. Il dit que son frère a été réinstallé en France et qu’un certain Manga, employé du HCR lui a demandé d’attendre son tour. « Pour moi, Manga m’a dit ton affaire va s’arranger; chaque fois que je passe le voir, il me dit c’est en cours », ajoute Torote.
Deux personnes avec la même identité
Pendant que le réfugié centrafricain attendait d’être appelé par le HCR pour sa réinstallation, il apprend qu’un individu portant son nom complet a été réinstallé aux Etats-Unis.
Tout commence un matin nuageux de février 2015. Torote vient de se réveiller. Il est soucieux parce qu’il vit des moments difficiles. Le réfugié se souvient qu’il avait rendu de bons services à un de ses amis qui vit depuis un moment aux Etats-Unis d’Amérique. Il décide de lui demander une aide financière.
« Ici au Cameroun, il était technicien comme moi. Il est parti aux Etats-Unis. Il m’aidait. De temps en temps, il m’envoyait 30.000 FCFA($48) ou 20.000 FCFA($32). Il envoyait les photos. Il disait qu’il faut toujours prier »
Au bout d’un moment d’échange, l’ami accepte une fois encore de faire un transfert d’argent à Torote. Le réfugié est tout excité. Il réfléchit déjà à l’utilisation de sa future petite fortune et ne se doute de rien.
Pourtant, son ami vient d’apprendre une mauvaise nouvelle. La société de transfert lui a fait savoir qu’un individu portant le même nom, Augustin Torote, vit déjà sur le sol américain. Comment la même personne peut-elle être à la fois aux Etats-Unis et au Cameroun, s’interroge tout confus l’ami de Torote. Il réussit à percer le mystère quand, plus tard, il rencontre l’individu vivant aux Etats-Unis.
« Il a effectivement rencontré cet individu et a constaté que c’est une personne différente qu’il a en face de lui », dit le réfugié. Torote conclut que son identité a été vendue à quelqu’un d’autre et, sur le champ, il dirige ses soupçons vers Manga, l’employé du HCR avec qui il avait parlé de sa réinstallation.
« Quand il (l’ami) m’a fait part de cela, je lui ai dit que ce sont les manipulations de Manga », dit Torote. « C’est lui qui gérait tous les dossiers, qui envoyait les gens(à l’étranger, Ndlr) ».
Avec ce coup, Torote venait de perdre non seulement l’argent qui devait lui permettre de résoudre ses problèmes ponctuels mais aussi son identité; ce qui réduisait ses chances d’être réinstallé aux Etats-Unis d’Amérique.
Mais, l’affaire est allée plus loin. Les réfugiés ont adressé une lettre à Antonio Guterres, qui était au moment des faits le haut commissaire des nations unies en charge des réfugiés, pour dénoncer la vente des identités des réfugiés. La police suisse a ouvert une enquête sur le cas Augustin Torote.
« Un blanc et une dame m’ont appelé; ils ont dit qu’ils sont de la police de Genève », se souvient Torote. « Ils m’ont demandé ce que je compte faire. J’ai dit que tout ce que Dieu fait est bon; C’est à eux là-bas de voir s’ils peuvent rapatrier la personne qui a changé son nom ».
Mais, cette proposition a été classée par la police helvétique, dit Torote.
Plusieurs années après cet incident, Torote, encore sous le choc du décès de son fils, affirme que des camerounais ont l’habitude de voyager avec des documents de réfugié.
« On a retrouvé 15 musulmans camerounais dans un voyage qui a eu lieu récemment », dit le réfugié. » On a changé le système. Maintenant, quand vous arrivez il y a un comité qui vous accueille. On te demande en patois le nom de ton village en RCA. Si tu bégaies , on te met de côté. C’est ainsi qu’on a retrouvé quinze camerounais ».
Avant que le scandale sur son identité éclate, Torote était déjà membre du collectif des communautés des réfugiés de Douala(CCRD), une association qui regroupait environ 10000 réfugiés urbains de diverses nationalités. Le rôle du collectif était de porter ses doléances auprès du HCR et ses partenaires et de défendre les intérêts de ses membres. En peu de temps, le CCRD a recensé d’autres cas de fraude sur les identités de réfugiés.
The Museba Project a obtenu une copie de la lettre du CCRD adressée à l’inspecteur général du HCR en Suisse. Kalema Ngongo Jean Louis, son président, y relate les mésaventures de Kussu Bienvenu, un réfugié originaire de la République Démocratique du Congo, RDC.
Kussu était un candidat à la réinstallation au Canada. Il a passé avec succès les examens médicaux préludes au voyage, d’après la lettre. Mais, le HCR lui a appris plus tard qu’il ne pourra plus effectuer le déplacement parce qu’il ne remplit pas les critères du pays d’accueil, raconte Kalema. Kussu, qui était un médecin de formation, a décidé de voyager avec sa famille par ses propres moyens, d’après le président du CCRD.
A son arrivée au Canada, Kussu apprend des services d’immigration du Canada qu’ » une famille(a été) réinstallée à leurs lieux et places par les responsables du HCR Cameroun », dit Kalema, « … avec les mêmes identités que lui ainsi que ses trois enfants ». Malgré plusieurs tentatives, The Museba Project n’a pu entrer en contact avec Kussu Bienvenu pour en savoir davantage.
The Museba Project a également sollicité les commentaires du HCR à Ottawa au Canada et à Washington aux Etats-Unis mais aucune des deux organisations n’a répondu à nos questions.
Le choix du Canada et des Etats-Unis par le réseau de fraude pour réinstaller les faux refugiés n’est pas anodin. Ces deux pays hébergent sur leur sol le plus grand nombre de refugiés réinstallés dans le monde devant l’Europe et les pays nordiques, selon le site internet du HCR. Le président américain Joe Biden a promis de faire réinstaller jusqu’à 125 000 nouveaux réfugiés aux Etats-Unis en 2022.
Au Cameroun, plusieurs personnes rêvent de s’installer en Occident dans l’espoir d’améliorer leurs conditions de vie souvent déplorables. Certaines d’entre elles, découragées par des échecs répétés d’obtention de visa, abandonnent au bout de quelques essais. D’autres, plus téméraires, finissent souvent leur aventure au fond de la méditerranée, un cimetière marin qui engloutit des centaines d’êtres humains chaque année. Quand une opportunité d’entrer légalement en Occident, comme celle du réseau de fraude, se présente, les personnes intéressées sont prêtes à dépenser sans compter pour que leur rêve devienne enfin une réalité.
Le président du CCRD dit avoir surpris à maintes reprises des camerounais, en possession des documents de réfugiés, qui s’apprêtaient à voyager vers l’Occident. Kalema a déclaré dans une lettre que les sommes d’argent demandées aux nationaux pour voyager comme réfugiés varient entre 3 millions Cfa ($4900) et 10 millions de FCFA($16000) en fonction de la taille de la famille. Il avait alors commencé à donner de la voix.
« Nous demandons l’envoi au Cameroun d’une mission internationale pour enquêter sur la réinstallation de tous les réfugiés en provenance du Cameroun, de 2003 à 2015 pour les USA, le Canada, l’Australie, les pays scandinaves… », a écrit Kalema. Le CCRD a envoyé ses plaintes aux autorités locales, au bureau de l’inspecteur général du HCR à Genève et même à Antonio Guterres, actuel secrétaire général de l’ONU, à l’époque des faits haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Mais, rien n’a changé, dit le CCRD.
Kalema a insisté à dire que « les faits sont réels et le réseau frauduleux de réinstallation des nationaux au détriment des réfugiés existe bel et bien ici au Cameroun ».
Comment fonctionne la fraude
Comme les cris des réfugiés devenaient perçants à travers des documents et leurs témoignages, j’ai voulu savoir si les identités des réfugiés continuent d’être vendues à des nationaux au Cameroun. Si c’est le cas, comment fonctionne cette vaste fraude aux réfugiés, à qui profite-t-elle et pourquoi devrions-nous nous en soucier ?
D’après mon observation et les témoignages des victimes, le commerce lucratif des identités de réfugiés commence presque toujours par le même bout: un employé du HCR découvre une faille dans le système de réinstallation des réfugiés. Avec l’aide de collègues consentants, il monte un réseau de recrutement de personnes voulant voyager en Occident comme réfugiés. Comme il doit éviter de se montrer, cet employé fait la passe à un réfugié de confiance chargé de contacter les personnes intéressées.
Puis, l’employé complète les instructions en indiquant au réfugié démarcheur les frais à payer par candidat, le pourcentage des commissions, les délais de traitement du dossier et si possible les soutiens cachés du réseau au sein de l’administration publique locale.
A son tour, le réfugié fait équipe avec un ou plusieurs autres réfugiés. Le but est de ratisser large tout en évitant une fuite, le pire adversaire du réseau. Toutes précautions prises, l’équipe enclenche le processus de recrutement qui s’achève en général par une bonne nouvelle: la réinstallation d’un faux réfugié en Europe, en Australie, aux Etats-Unis ou au Canada.
« Nous avons les vrais réfugiés qui vont être confrontés à une difficulté étant entendu que les faux réfugiés vont faire un usage frauduleux des procédures et des mécanismes », a déclaré Hamma Hamadou.
« En fait, le principal risque est que ça va mettre un doute dans la tête des pays qui accueillent ces réfugiés et qui sont en relation avec le haut commissariat aux réfugiés », a t-il ajouté.
L’histoire sur la vente des identités des réfugiés étant d’un intérêt public, la seule façon de me faire ma propre opinion sur ce qui se passe réellement était d’infiltrer le réseau de fraude comme candidat à l’immigration. Sur le chemin qui mène à la vérité, il fallait financièrement motiver le réseau pour qu’il explique le fonctionnement de la machine de fraude.
J’ai soumis certains documents personnels au réseau. Ma profession était inscrite sur ma carte nationale d’identité et j’étais déjà détenteur d’un passeport ordinaire. Mais, le réseau n’a pas prêté attention à ces détails, peut-être parce que beaucoup de journalistes locaux cherchent aussi à fuir la précarité dans laquelle ils se trouvent.
La décision de mener une enquête en immersion ne suffisait pas pour arriver jusqu’au cœur du réseau. Il me fallait trouver un réfugié qui avait une parfaite maîtrise de la situation. Par l’entremise d’une source de longue date, je fais la connaissance de Jean François Missengui, un réfugié congolais âgé d’une cinquantaine d’années. Il venait d’abandonner son poste de secrétaire général du CCRD parce que, dit-il, il a découvert que les réfugiés étaient victimes d’abus graves y compris la vente de leurs identités.
« C’est criminel ce qui se passe contre les réfugiés, je vais dénoncer ces individus », me dit jean François dès notre première rencontre. » Avec cette fraude, il est possible qu’un terroriste entre facilement en Occident ».
Jean François m’avoue qu’il ne connait pas les personnes qui constituent le réseau. Il accepte cependant de faire équipe avec moi pour trouver les réfugiés qui travaillent pour le réseau. C’était le premier objectif à atteindre avant d’espérer aller plus loin. Un jour, alors que nous sommes entrain de réfléchir sur la stratégie à retenir, Jean François me raconte, d’une voix grave, l’histoire de sa fuite du Congo, son pays natal.
Décembre 1998. Jean François habite Brazzaville lorsque la guerre éclate entre l’armée congolaise et les rebelles « Ninja » du pasteur Ntumi. Jean François, originaire du même département que Ntumi, est soupçonné d’être un Ninja. Il est traqué par les forces de sécurité congolaises. Il subit intimidations et menaces à répétition.
« Je ne pouvais plus supporter cette situation », dit Jean François. « j’ai décidé de fuir vers le nord jusqu’à Ouesso à la frontière avec le Cameroun ».
Mais, la fuite sera de courte durée. Jean François est interpellé en chemin par les troupes d’un colonel de l’armée.
« Ce colonel me dit que, selon ses informations, le Cameroun et la République Démocratique du Congo constituent des bases arrières utilisées par les Ninjas pour attaquer le Congo et il refuse de me laisser passer », raconte Jean François. Il dit que sa carte d’identité lui ayant été retirée, il a été contraint de monnayer pour obtenir un laissez passer et continuer le voyage.
En février 1999, Jean François entre au Cameroun par Socambo, un village de la région de l’Est, proche de la frontière. Il fait la connaissance d’autres citoyens congolais en fuite. Le 20 mars de la même année, Jean François arrive à Douala à bord d’un bus. Un an plus tard, il dépose une demande d’asile au HCR.
A peine arrivé, le congolais fait déjà parler de lui. En 2001, il est le chef de file d’un groupe de réfugiés qui écrit au secrétaire général des Nations Unies. La lettre dénonce les mauvais traitements de certains personnels du HCR vis à vis des réfugiés tels que le mépris, l’opacité et la fraude. Un conseil juridique du HCR est dépêché pour rencontrer le groupe de réfugiés mécontents. Il promet d’acheminer leurs doléances à sa hiérarchie puis il dit :
« Quand vous écrivez, faites attention car certaines personnes ont perdu leurs vies à cause du stylo, en tout cas, une copie de votre lettre est envoyée aux autorités de votre pays d’origine », se souvient Jean François.
Cette phrase fait son effet. Certains réfugiés abandonnent le projet de dénonciation. Jean François, lui, ne se décourage pas. Il devient plus tard le secrétaire du CCRD.
En décembre 2018, il reçoit un coup de fil du HCR qui lui demande de se faire enrôler pour une réinstallation aux Etats-Unis. Son épouse et lui passent les entretiens préliminaires. Depuis ce temps, Jean François n’a ni été réinstallé ni été informé d’un quelconque rejet de son dossier, dit-il.
« Je veux voir ces réfugiés, qui ont tout perdu, qui ont fuit les conflits et les règlements de compte, refaire leurs vies dans la dignité », me dit jean François lorsque je lui demande ce qui motive son combat contre la fraude.
« Je suis sensible à ça. Voilà pourquoi j’ai pris mon courage à deux mains pour dénoncer ces mauvaises pratiques ».
Mon premier contact avec le réseau se fait un début de soirée à Douala . Jean François et moi rencontrons Christophe, un réfugié centrafricain. (Celui qui a assisté à la mise en bière de Sepamio Sylver, Ndlr).
« Quand vous avez appelé, j’avais peur que peut-être c’est une enquête qui commence », dit avec un sourire gras Christophe en posant le doigt sur ses lunettes claires . »Comme je suis défenseur des Droits de l’homme le réseau a peur que je retourne les preuves que je détiens contre lui ».
Quelques jours auparavant, Christophe, âgé d’une quarantaine d’années, avait appris au téléphone que je suis un candidat potentiel au voyage. Il s’est empressé de venir en personne m’expliquer comment ça marche.
« Ce qu’il faut savoir, c’est que c’est le réseau des réfugiés; c’est un personnel du service juridique au HCR qui est à la tête de ce réseau », déclare Christophe qui ajoute que ce personnel ne veut pas se faire connaitre. « Le HCR est une organisation internationale et la moindre fuite, c’est ta carrière, ta famille qui est en jeu. »
« Ce personnel a donc tissé des relations avec certains réfugiés qui font les affaires. Quand le visa arrive et qu’il constate que le réfugié (bénéficiaire, ndlr) ne peut pas voyager ou n’est pas prêt, il vend ce visa », dit Christophe.
Ce réfugié centrafricain me dit que le réseau a réussi à faire voyager trois camerounais pour les Etats-Unis d’Amérique en vendant les visa des réfugiés. Mais, ces camerounais ont été interpellés sur le sol américain, dit-il.
« A leur arrivée, l’ambassadeur de la Centrafrique les accueille et les conduit à l’ambassade mais quand il leur parle le Sango (langue nationale en Centrafrique, Ndlr), personne ne répond », raconte Christophe. « Voilà comment il s’est rendu compte qu’on avait donné le visa à des personnes étrangères ».
La réinstallation se déroule en sept étapes, selon le HCR. Lorsque le cas du réfugié est soumis, les autorités du pays de réinstallation s’entretiennent avec lui et font une évaluation du cas. La décision est remise au réfugié par les mêmes autorités. L’Organisation Internationale pour les Migrations(OIM)organise l’examen médical du réfugié après un contrôle de sécurité. Ensuite, l’OIM ou le pays de réinstallation organise une orientation culturelle et le voyage.
Le réseau, lui, épargne ses candidats de ce long processus.
Christophe dit que cet échec a fait que le réseau change de stratégie. Il évoque pour la première fois depuis le début de notre conversation le nom du personnel du HCR en question. » Il est au service juridique, monsieur Ateba; il travaille avec une équipe pour ça. »Christophe dit qu’il travaille pour Adèle, une réfugiée basée à Yaoundé, née d’un père congolais et d’une mère centrafricaine. Christophe déclare que Adèle à son tour travaille pour Jean Paul Ateba en service au HCR.
» Ce personnel a dit à notre sœur (Adele) si vous avez des gens qui ont leur argent on va leur donner un visa avec garantie d’une association humanitaire qui vous prend en charge pendant un mois », raconte le réfugié. Christophe me dit qu’il est chargé de convaincre les personnes qui veulent voyager comme réfugiés pour s’installer en Occident. Ensuite, il met le candidat en contact avec Adèle et sa mission s’arrête à ce niveau, dit-il. Le réseau, dit-il, demande à chaque candidat de payer la somme de 1.500.000 FCFA( $2400).
« La bonne nouvelle est que pour t’engager tu paies la moitié de cette somme et quand on te remet tous tes documents de voyage, tu paies le reste d’argent », se réjouit Christophe. Il dit que ATEBA n’est pas seul dans le coup. Lorsque le candidat paie, déclare le réfugié, il distribue cet argent à des collègues qui l’aident dans l’opération.
« Le premier versement de 750.000 FCFA($1200) qu’il prend, c’est pour partager avec ses relations qui l’aident: toi tu interviens ici, voici ta part, etc. Il donne à chacun sa part ».
Christophe me montre des documents officiels de nationaux camerounais qui auraient fraîchement voyagé comme des réfugiés centrafricains pour s’installer au Canada, aux États-Unis, en Norvège, en Espagne et en France. Il déclare ensuite qu’un candidat peut voyager avec son nom lorsque celui-ci se rapproche d’un nom centrafricain. Mais lorsque le nom fait référence à certaines localités du Cameroun, le réseau fait établir au candidat un certificat de nationalité centrafricaine puis lui attribue un nom de famille qui renvoie à la Centrafrique et la procédure de réinstallation peut commencer, dit Christophe.
Dans les deux cas, le candidat obtient une carte de réfugié et un passeport bleu (celui des réfugiés) avec visa. « C’est un réseau très fermé, ça dépasse même mon entendement; moi, je joue mon rôle d’intermédiaire et je m’arrête là, je ne veux même pas savoir comment ça se passe là-bas devant », dit Christophe. Je prends son numéro de téléphone et promet de le contacter plus tard.
Adèle, la plaque tournante du gang
Les derniers propos de Christophe me donnent encore envie de découvrir ce « réseau très fermé ». Je comprends qu’il m’a donné ce qu’il détenait comme informations et je décide de ne plus le contacter. Jean François et moi parvenons à avoir le numéro de téléphone de Adèle auprès d’autres réfugiés. Coup de grâce, Adèle s’exprime bien en lingala, la langue maternelle de Jean François. Au téléphone, à plusieurs reprises, Adèle est intarissable lorsqu’elle parle du réseau et de ses avantages. Nous décidons d’aller à Yaoundé pour rencontrer Adèle.
Adèle est une dame de courte taille et de teint chocolat. Vu de près, elle serait dans la cinquantaine. Elle était tirée à quatre épingles et a choisi de me recevoir dans une buvette de fortune loin des regards curieux. « C’est un réseau sûr, il ne faut pas avoir peur », me rassure Adèle. « J’ai fait voyager deux de mes enfants avec ce réseau, le troisième vit avec moi il partira bientôt ». Adèle dit que le réseau est patronné par Ateba. Ce dernier est secondé par un certain Mvondo qui travaille aussi au HCR, dit-elle.
Après ce discours d’accueil, il était temps de donner la première tranche de la somme totale, soit 750.000 FCFA($1200).
« Les temps sont durs, si on peut aider les jeunes comme toi à voyager pour aller se battre et que nous aussi on gagne quelque chose, ça fait plaisir », dit Adèle d’une voix douce.
Plus tard, Adèle me fait voir la photo d’un jeune homme qu’elle dit être basé en Turquie après avoir voyagé du Cameroun grâce au réseau. Jean François et moi réussissons, grâce à nos recherches, à contacter un autre camerounais vivant en France. Il affirme avoir été aidé par Adèle et sa bande.
« J’avais peur au départ mais je me suis dit que je n’ai rien à perdre puisque c’est difficile au pays », dit le jeune homme au téléphone. »J’ai donné l’argent à une dame, c’est elle qui a tout fait ».
Quelques mois sont passés. Adèle me recontacte pour demander de fournir au réseau certains de mes documents officiels en vue de l’établissement de mon passeport bleu. Elle dit que le réseau a choisi de m’envoyer à Bratislava, la capitale de la Slovaquie, avec un emploi en bonus. Mais, dit-elle, si je ne suis pas d’accord, le réseau va me trouver un autre pays. Je maintiens le choix de la Slovaquie.
« On t’a donné la nationalité du Congo Brazzaville mais tu ne vas pas te présenter au HCR pour les formalités, on saura que tu n’as l’accent congolais », me dit Adèle. Plus tard, Adèle m’apprend que le réseau m’a attribué une nouvelle nationalité. « C’est mieux que tu portes la nationalité centrafricaine. C’est ça qui passe facilement. Comme le pays là est encore en guerre, les blancs préfèrent les réfugiés qui viennent de là », dit Adèle.
Pendant des mois, j’enregistre des conversations audio et vidéos avec le réseau. A chaque fois, Adèle me rend compte des avis de Ateba, de Mvondo et même d’une certaine Gladys qui travaillerait aussi pour le HCR. The Museba Project n’a pas été en mesure de confirmer que Mvondo et Gladys sont des employés du HCR.
Le réseau va changer de règles en cours de jeu. D’après Adèle, Ateba a dit que je vais plutôt payer 2.500.000 FCFA($4000) pour obtenir la carte de réfugié, le passeport, le visa et un emploi en Slovaquie.
« Si tu trouves ce montant élevé, on maintient la somme de 1.500.000 FCFA mais dès que le passeport est délivré, on te le donne et tu voyages à tes propres frais », me dit Adèle. A ce stade, impossible de reculer. J’accepte la proposition.
Adèle appelle affectueusement Mvondo « monsieur le maire ». C’est un homme rond de courte taille et de teint clair. Il s’est illustré lorsque le réseau a réclamé une nouvelle somme d’argent. S’adressant à Jean François, Mvondo a déclaré: « Si tu as d’autres personnes intéressées, il faut nous les amener, tu vas gagner quelque chose; moi, 80% de mes revenus proviennent de ce réseau ».
Dieudonné ou l’onction de la police
Peu de temps après, Adèle me demande de venir à Yaoundé pour un rendez-vous au service des passeports. La veille du jour dit, je croise Adèle avec à ses cotés un homme. Elle fait les présentations: « C’est la première fois que vous vous rencontrez? vous irez ensemble demain au service de passeports », dit Adèle en tournant le regard vers le bonhomme à la membrure puissante.
Kemayou est son nom camerounais. Mais, lorsqu’il est entré en contact avec le réseau, tout a changé ou presque, me dit-il. Il a la nationalité centrafricaine et un nom centrafricain. Le Canada est sa destination finale. » J’avais déjà fait le passeport mais il y a eu une erreur c’est pourquoi je vais repasser là-bas demain », m’explique Kemayou.
La présence de Kemayou me rassure d’une part que le réseau est vraiment à l’œuvre et d’autre part que je peux m’arrêter à ce niveau pour suivre l’évolution du dossier de ce dernier. Mais, il fallait d’abord laisser passer l’étape du passeport.
Le lendemain matin, Mvondo, Adèle, Jean François, Kemayou et moi, nous nous retrouvons dans un jardin public à Yaoundé. Soudain, un homme de teint clair apparaît. C’est Dieudonné, il est policier. Adèle lui dit que Kemayou et moi sommes les deux candidats pour le passeport. « Monsieur Ateba t’a déjà donné quelque chose, non? donc, tu t’occupes bien d’eux », dit Adele à Dieudonné. Adèle dit que Dieudonné est l’un des membres du réseau au sein de la police. Elle ajoute que le réseau a aussi des « facilitateurs » au ministère des relations extérieures.
Après un moment d’échange entre Mvondo, Adèle et Dieudonné, il a été décidé que je passe en premier. Kemayou va attendre.
Dieudonné et moi traversons la route. A l’entrée du service des passeports, les policiers à la guérite reconnaissent Dieudonné et nous laissent continuer. A l’intérieur, plusieurs usagers sont assis sur de longs bancs. Le ballet des policiers en uniforme et en civil est incessant. Mon cœur commence à battre très fort. Le risque est élevé. Le moindre faux geste à ce niveau pourrait déboucher sur l’irréparable. J’ai envie, à un moment, de sortir de cette enceinte. Mais quand je pense aux victimes de cette fraude, je reprends mes forces.
Dieudonné me conduit auprès de Ambassa, un de ses collègues chargé d’aider les candidats à remplir les formulaires de demande de passeport puis il disparaît. A la question de savoir si je suis déjà détenteur d’un passeport, je ne sais quoi dire. Le réseau ne m’a pas dit s’il fallait répondre par oui ou par non. Ambassa est surpris de mon hésitation. « Tu connais Dieudonné? C’est qui pour toi », me demande t-il. Je lui réponds que c’est un ami de la famille. Je lui demande s’il peut appeler Dieudonné. Ce qu’il fait sans hésiter. Quelques instants plus loin, Dieudonné arrive tout anxieux comme s’il redoutait quelque incident. Il me dit de cocher la case « non ».
Ateba, Mvondo, Kemayou: le silence fait le bonheur
Ambassa avait t-il connaissance de l’existence du réseau? Je n’en sais rien. Dieudonné, lui, était au courant de Ateba. Adèle lui rappelle d’ailleurs qu’il a reçu une somme d’argent de Ateba pour traiter mon cas. A maintes reprises, j’ai demandé à rencontrer Ateba, mais Adèle s’y est toujours opposée.
« Monsieur Ateba sera là à la fin pour te remettre les documents de voyage », disait-elle toujours.
Je décide d’arrêter mon parcours avec le réseau à ce niveau. Et de suivre à distance l’avancement du dossier de Kemayou.
A Douala, Kemayou passe le gros de son temps dans sa petite boutique chichement achalandée en denrées alimentaires. Kemayou est marié et père de cinq enfants. Son premier contact avec le réseau remonte à quelques années . « Un jour, un grand ami qui savait que j’avais envie de voyager m’a présenté le réseau d’Adèle. Il m’a dit que son cousin est passé par là pour entrer en Europe. C’est cet ami qui me met en contact avec Adèle », me raconte Kemayou.
Le bonhomme brûlait en effet d’envie de quitter le Cameroun. Sa dernière tentative devait le conduire en Australie, mais il n’a pu obtenir un visa, dit-il. « J’avais payé cher pour qu’on me fasse passer pour un défenseur des Droits de l’Homme qui assistait à un séminaire mais à la fin, le visa m’a été refusé ».
Les choses avancent vite avec Adèle. Le réseau a demandé à Kemayou de payer la somme de 2.500.000 FCFA($4000), il a déjà versé la moitié, dit-il. Kemayou me dit qu’il est en possession d’une carte de réfugié centrafricain et qu’il n’attend plus que la sortie de son passeport pour s’installer au Canada avec sa petite famille.
« C’est un réseau qui marche mais il est un peu lent, tu dois seulement être patient », dit Kemayou. Je lui demande s’il a rencontré Ateba depuis qu’il flirte avec le réseau. Il me dit qu’à un moment il commençait à perdre patience et comme chaque fois Adèle lui disait que Ateba a demandé d’attendre, il a décidé d’aller rencontrer Ateba pour se rassurer, dit-il. Le faux réfugié s’est rendu dans les locaux du HCR à Yaoundé à l’insu d’Adèle.
« On m’a montré le bureau de Ateba. Je lui ai dit que je viens de la part d’Adèle par rapport à mon dossier. Il m’a expliqué que vraiment ça ne dépend pas d’eux. Ils font juste une demande, tant que le Canada ne donne pas l’accord ils ne peuvent rien, parce que quand vous partez là bas, vous entrez dans le centre des réfugiés », raconte Kemayou.
Kemayou dit avoir rencontré Mvondo dans le bureau de Ateba lors de sa visite. » Il y avait deux tables dans cette salle, celle de Monsieur Ateba et celle d’un autre monsieur qui était assis. Je ne le connaissais pas. C’est quand je l’ai vu un autre jour avec Adèle que j’ai su que c’est lui qu’on appelle « monsieur le maire ».
Comme Mvondo et Ateba, Kemayou parle peu. Mais, tous ont deux choses en commun avec Adele: l’amour de l’argent facile et la peur d’être dénoncés. Au détour d’une conversation, Adèle me raconte la mésaventure de certains camerounais de la partie anglophone qui auraient été récemment interpellés en Australie avec des documents de réfugiés. Rapatriés au Cameroun, ils ont été mis en détention avec leur complice, une employée du HCR qui aurait fait d’eux des réfugiés.
The Museba Project a contacté Jean Paul Ateba en service au HCR à Yaoundé pour solliciter son commentaire à propos des allégations de Kemayou et les accusations de complicité de fraude. Il n’a pas réagi jusqu’au moment de la publication de cette investigation.
« Si les gens s’amusent à créer ce genre de trafic, ils mettent en danger l’ensemble du processus de protection des personnes qui ont besoin d’une véritable protection des Nations Unies, voilà le sujet », a déclaré Hamma Hamadou. L’ancien diplomate ajoute: « Ce n’est ni bon pour les pays d’où ils partent ni bon pour le système global d’accueil des réfugiés « .
La vente des identités des réfugiés est une réalité. Torote, Jean François, Kalema et leurs familles ne seront peut-être jamais réinstallés . Mais, l’histoire retiendra qu’ils ont eu le courage de dénoncer une injustice grave, le courage d’alerter leurs semblables. A temps.