Edwige se tord de douleurs dans la salle d’attente de la maternité. Enceinte et à terme, elle a hâte de passer à la salle d’accouchement. La jeune femme âgée d’une vingtaine d’années ne pourra toutefois pas donner la vie par voie basse. Le personnel médical vient de lui apprendre que le bébé est en détresse respiratoire et que la seule façon de l’extraire vivant est de procéder par une césarienne. Ce 15 mai 2020, il est 22 heures 40 minutes à l’hôpital de district de Deido, au cœur de la capitale économique du Cameroun.
Edwige pousse des cris stridents à cette heure avancée de la nuit. L’hôpital exige le versement d’une caution de 200.000 FCFA avant toute intervention chirurgicale sur la jeune femme enceinte. La famille dit ne pouvoir réunir ce montant sur le champ. Imperturbable, le personnel prend en charge d’autres patientes, arrivées pour certaines après Edwige, qui sont prêtes à régler leur facture.
Les difficultés d’accès aux soins de santé en milieu urbain touchent 65 % de femmes pendant la grossesse et l’accouchement, révèle la cinquième Enquête Démographique et de Santé du Cameroun (EDSC-V) publiée en février 2020; Le problème majeur qui affecte 67 % de ces femmes est le manque d’argent pour se soigner, à côté d’autres obstacles comme la distance entre le domicile et l’établissement de santé(40%), l’obtention de la permission du partenaire pour se rendre à l’hôpital dont se plaignent 35% de femmes interrogées, affirme l’EDSC-V.
La mère d’Edwige ne pouvait plus supporter la souffrance de sa fille. Elle a lancé par téléphone une levée de fonds inopinée en contactant des proches et, en quelques minutes, elle est parvenue à collecter la somme exigée. Vers minuit, Edwige, animée par la peur de perdre son bébé, a été admise au bloc opératoire. Elle en est ressortie plus tard avec du sourire aux lèvres et un nouveau-né de sexe masculin entre les bras.
Mais, après la césarienne, les facturent ont commencé à tomber. Edwige, qui pensait que la caution allait prendre tout en charge, devait entre autres payer de sa poche 6.000 FCFA pour une injection qu’elle dit n’avoir par reçue et régler une ordonnance de 30.000 FCFA de soins postopératoires.
Accouchements coûteux et inefficaces
« Les dépenses augmentaient sans explication logique », a déclaré Edwige. « J’ai dépensé près de 500.000 F Cfa pour nos soins[Le bébé et elle]. »
La direction de l’hôpital de district de Deido approchée par le reporter de The Museba project n’a pas fait de commentaire.
Au Cameroun, 15 femmes sur 100 qui vont accoucher présentent des complications, même si elles ont toutes effectué leur consultation prénatale, selon les données du Ministère de la santé publique ; les mêmes statistiques révèlent qu’au fil des années, le pourcentage de naissance par césarienne a grimpé dans le pays, allant de 2,3 % en 1991, à 2,0 % en 2004 puis 3,8 % en 2011. La plupart de ces femmes qui ne peuvent pas accoucher par voie vaginale vivent pratiquement le même calvaire de la prise en charge onéreuse.
Courant mai 2020, Stéphanie donne naissance à un enfant par césarienne à Douala dans un autre hôpital public qui enregistre en moyenne 250 accouchements par mois. Vêtue d’une robe berge et d’un pullover marron, E. Kengne, sa mère, laisse tomber l’euphorie de l’enfantement pendant un moment pour passer en revue une dizaine d’ordonnances classées dans son sac en bandoulière.
«Je suis déjà à près de 250.000 F Cfa de dépenses, mais je ne saurais dire avec précision pour quel soin en particulier puisque ce n’est pas clairement spécifié sur l’ordonnance », a dit d’un air abattu Madame Kengne, âgée d’une cinquantaine d’années.
La corruption dans les hôpitaux publics rend les accouchements coûteux et inefficaces.Pourtant, le ministère de la santé met des kits obstétricaux à la disposition des centres de santé et hôpitaux de district pour permettre aux femmes enceintes d’avoir accès à des soins de santé de qualité et à moindre coût.
Officiellement, le kit d’accouchement par voie basse coûte 6000 F Cfa alors que celui de l’accouchement par césarienne vaut 40.000 F Cfa. Mais, cette mesure n’est pas respectée sur le terrain, d’après les témoignages de femmes enceintes et du corps médical. Plusieurs hôpitaux publics dans la capitale économique fixent les coûts des prestations obstétricales au delà de la prescription ministérielle, a découvert The Museba project.
« …Les complications allongent les factures«
« Bien que le coût du kit soit homologué, certaines patientes connaissent des complications qui allongent les factures« , a déclaré Dr Fogang Dupleix, Gynécologue obstétricien à l’hôpital de district de Bonassama à l’ouest de Douala. « Ce qui expliquerait certains coûts exorbitants lors de l’accouchement ».
En outre, les hôpitaux ne dévoilent pas aux femmes enceintes le contenu des kits obstétricaux. Ce qui en rajoute à l’angoisse et au stress des parturientes lors des accouchements.
D’après la coordinatrice du service gynéco-obstétrique d’un hôpital de 2e catégorie, le déficit en matériel dans la plupart des établissements publics expliquerait en partie les coûts exorbitants des accouchements. »Le personnel ne peut pas travailler sans matériel », a-t-elle déclaré sous anonymat parce qu’elle n’a pas été autorisée à parler à la presse. « L’Etat a certes fixé les prix, mais les hôpitaux sont régulièrement en rupture« . Ainsi, pour « gérer efficacement »un accouchement, la patiente « supporte certaines charges ».
Les kits obstétricaux sont rarement en rupture de stock, a fait savoir une source bien introduite au Fonds Régional pour la Promotion de la Santé pour le Littoral, un Groupement d’intérêt public qui appuie le Ministère de la Santé notamment dans la gestion et la distribution des médicaments et des produits pharmaceutiques aux formations sanitaires. Ce Fonds approvisionne en kits les hôpitaux qui, d’après la même source, doivent veiller en interne au restockage des dits consommables.
Les hôpitaux dépensent 29.900 FCFA par kit césarienne et 3.800 FCFA pour un kit d’accouchement normal. Mais, « les prix peuvent changer d’une année à l’autre», a précisé la source du Fonds quia suggéré la mise en place d’un mécanisme de contrôle de kits dans les hôpitaux pour s’assurer qu’ils sont disponibles et vendus aux prix homologués.
« En rendant la gestion des hôpitaux autonome, avec le programme de Financement Basé sur la Performance (PBF), le système d’approvisionnement a changé », a révélé cette source. « Les hôpitaux font les achats en fonction de leur ressource ».
Initié en 2012, le PBF est une stratégie de financement et de renforcement du système national de santé qui vise à améliorer la disponibilité, l’accessibilité et la qualité des services de santé. Mais, avec son arrivée, les choses ont changé et l’approvisionnement régulier des hôpitaux n’est plus garanti.
Hortense Atchoumi est la présidente de l’Association des sages-femmes du Cameroun (Asfac). Depuis de nombreuses années, elle a parcouru les couloirs des maternités et a constaté que les kits d’accouchement sont uniquement disponibles dans «quelques hôpitaux et pas accessibles à tout le monde » dans le pays. Plus grave, les plateaux techniques de certains hôpitaux sont pauvres et la main d’œuvre en qualité et en quantité manque.
« Beaucoup d’actions sont faites par le gouvernement, »a déclaré Madame Atchoumi. « Cependant, le coût des soins reste élevé ».
Les médias ont souvent relayé les cas de femmes enfermées dans les hôpitaux publics pour factures impayées après l’accouchement. Le 13 mai 2020, une jeune fille dont le nom de famille est Ntsama a perdu ses quatre bébés quelques minutes après leur naissance parce qu’il manquait des couveuses à l’hôpital Central de Yaoundé, établissement de 2ecatégorie, pour leur prise en charge. La mauvaise nouvelle avait ému l’opinion nationale.
« Seule une formation privée disposait des couveuses libres », a expliqué à la presse après le scandale, le Dr Félix Essiben, chef adjoint du service de maternité de cet hôpital. « Mais la caution exigée (100.000 FCFA) n’était pas à la portée de la famille de la jeune Ntsama ».
« Pendant les recherches[de couveuses], les quadruplés vont décéder l’un après l’autre« , a dit Dr Essiben.
Dans cette affaire, le personnel de cette formation hospitalière était par ailleurs accusé d’avoir séquestré la jeune maman éplorée pour une facture impayée évaluée à 54 000 F Cfa.
467 femmes perdent leurs vies en voulant donner la vie
Sur un total de 100 000 naissances au Cameroun, 467 femmes perdent leurs vies en voulant donner la vie, selon les chiffres du ministère de la santé. Pour 1000 naissances enregistrées dans chaque catégorie, on compte 28 décès de nouveau-nés, 48 décès d’enfants et 79 autres décès dans la tranche infanto-juvénile.
Malgré les stratégies adoptées avec l’appui des partenaires au développement pour améliorer la santé de la mère et de l’enfant, la mortalité maternelle reste inquiétante. Même si elle a connu une réduction de 40% en 2018, selon le Ministère de la santé publique.
Les surfacturations des kits obstétricaux comme la vente illicite des médicaments ou les consultations à domicile seraient, à en croire Hortense Atchoumi, une conséquence des mauvaises conditions de travail du personnel soignant dont les salaires sont parmi les plus bas du pays.
«On exerce certes dans des conditions difficiles mais c’est un métier passionnant« , a dit Alain, sage femme.